Derek Allan a écrit nombre d’ouvrages sur André Malraux
André Malraux est né à Paris le 3 novembre 1901. La disparition de son grand-père et de son père le confronte très jeune à la tragédie de la mort. Dès la fin de son adolescence, il s’intéresse de près à la littérature et entre dans les milieux littéraires et artistiques de la capitale.
Après avoir suivi des cours d’archéologie et d’orientalisme au musée Guimet et à l’Ecole du Louvre, il entreprend en 1923 une expédition au Cambodge. Il y cherche et découvre le temple Banteaï Srey dont il détache des bas-reliefs. Acte jugé répréhensible par l’administration française qui le poursuit. Condamnation. Le procès est cassé pour vice de forme. Malraux revient en France, puis retourne à Saïgon en 1925, pour y fonder le mouvement de libération “Jeune Annam” et le journal “l’Indochine” devenu “L’Indochine Enchaînée” où il dénonce les injustices coloniales. Dans le même temps, le jeune Malraux est nommé vice-commissaire à la propagande du Kuomintang. Après de nouveaux démêlés avec les autorités coloniales, il retourne en France.
Les premiers essais critiques, préfaces et écrits “farfelus”, commencés en 1920, débouchent sur une oeuvre de réflexion philosophique : LA TENTATION DE L’OCCIDENT. Commence la période de l’oeuvre romanesque avec LES CONQUÉRANTS en 1928, LA VOIE ROYALE en 1930 et LA CONDITION HUMAINE en 1933 (Prix Goncourt) dont les fonds aident au financement d’une expédition à la recherche de la capitale de la reine de Saba au Yémen.
Durant les années trente, Malraux lutte passionnément pour les libertés. En 1934, il organise et préside les comités mondiaux pour la libération de Dimitrov et Thaelmann et contribue à la création de la Ligue mondiale contre l’antisémitisme et le fascisme. En 1935, il publie LE TEMPS DU MÉPRIS, une perception prophétique des horreurs nazies des années quarante.
En 1937, paraît L’ESPOIR, témoignage poignant, épopée tragique de la lutte républicaine en Espagne. Contrairement à d’autres “intellectuels en chaises longues”, Malraux passe à l’action, organise sur place l’escadrille internationale “España” et participe aux combats, notamment de “SIERRA DE TERUEL”. Il tourne en 1938 le film “SIERRA DE TERUEL” (Espoir).
En 1940, Malraux (réformé en 1922) s’engage dans un régiment de chars d’assaut ; il est fait prisonnier et s’évade.
En 1942, il entre dans la Résistance, publie LA LUTTE AVEC L’ANGE en 1943 et crée l’année suivante la Brigade Alsace-Lorraine. Avec ses compagnons, dont Monseigneur Bockel et le Général Jacquot, il contribue au prix d’une lutte acharnée à libérer l’Alsace du joug nazi. 1945 marque la rencontre avec le Général de Gaulle qui, lors de la constitution de son gouvernement, le nomme Ministre de l’Information. Mais le Général quitte le pouvoir en 1946, Malraux le suit et fonde en 1947, avec ses compagnons, “Le Rassemblement du Peuple Français” (R.P.F.). Il a définitivement tourné la page internationaliste (et non marxiste) épousant la France pour “mettre en harmonie sa vie et sa philosophie”.
L’écrivain entre dans ce que l’on peut considérer sa troisième période de création, caractérisée par une approche historiosophique de l’univers artistique. Paraissent successivement les 3 tomes de LA PSYCHOLOGIE DE L’ART (1947-1949). SATURNE-ESSAI SUR GOYA (1950), LES VOIX DU SILENCE (1952), les 3 tomes du MUSÉE IMAGINAIRE DE LA SCULPTURE MONDIALE (1952-1954) et LA MÉTAMORPHOSE DES DIEUX (1957, tome 1). Dans ces méditations et confrontations des arts du monde entier, la perspective métaphysique (l’art est un anti-destin) ne sous-tend pas les vues esthétiques de l’Auteur, elle les domine. L’art témoin n’est pas l’art interprète et inversement ; il est une autre manifestation du génie créateur de l’homme à travers les âges. Il est en effet le fruit de la créativité humaine et la métamorphose des formes à travers les millénaires assure l’immortalité de ce génie et de la culture qu’il nourrit : “cette survie (des formes) n’est pas celle d’objets émouvants, mais celle de la forme que prit la qualité du monde à travers un homme ; et cette forme, l’homme mort, commence sa vie imprévisible”. L’art est question au même titre que l’amour, la mort, la fraternité, le destin : “la seule unité de notre civilisation, c’est l’interrogation”.
Malraux infatigable donne interviews, prononce discours, écrit préfaces et articles. Il poursuit la lutte pour la dignité humaine, fidèle à sa vocation de défenseur des libertés. En avril 1958, LA QUESTION d’Henri Alleg est saisie par le gouvernement. Malraux, — de conserve avec Martin du Gard, Mauriac et Sartre — somme les pouvoirs publics de “Condamner sans équivoque l’usage de la torture en Algérie”.
En juin 1958, de Gaulle revient au pouvoir. Malraux le rejoint et devient en 1959 son Ministre des Affaires Culturelles. Son action politique s’accompagne de nombreux discours souvent passionnés, parfois lyriques, toujours intenses.
En 1961, Malraux perd tragiquement ses deux fils, ayant en 1944 perdu dans des conditions non moins tragiques, Josette Clotis, leur mère. Il portera en lui-même les stigmates que lui laissera une telle confrontation avec le destin. Mais son “petit tas de secrets” ne concerne que lui et l’Homme poursuit son action.
Son programme culturel est ambitieux et contribue au rayonnement de la France : Maisons de la culture, inventaire des monuments et des richesses artistiques de la France, la Joconde aux Etats-Unis, la Vénus de Milo au Japon, autres expositions prestigieuses, creusement des fossés de la Colonnades du Louvre, embellissement de la capitale, plafond de l’Opéra par Chagall et celui de l’Odéon par Masson, etc…
En 1964, le Ministre-Écrivain prononce un discours émouvant lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.
Commence la quatrième période littéraire : une somme d’une densité extraordinaire, un testament spirituel grave, mais dont la sobriété des mots crée une impression de conscience claire, voire de sérénité.
Malraux publie en 1967 les ANTIMÉMOIRES et fait un discours sur les révoltes étudiantes en 1968 : “Nous ne sommes pas en face de besoins de réformes, mais en face d’une des crises les plus profondes que la civilisation ait connues”.
En 1969, le Général de Gaulle quitte l’Elysée, Malraux abandonne ses fonctions. Le 11 décembre de la même année, les deux hommes ont un dernier entretien relaté dans LES CHÊNES QU’ON ABAT…; ceux-ci cristallisent le dialogue des deux hommes avec un quart de siècle d’Histoire, témoin des avatars “d’une volonté qui tint à bout de bras la France”. Déjà l’ombre crépusculaire a ralenti la course des deux destins exceptionnels. De Gaulle ne reverra plus Malraux, “cet ami génial fervent des hautes destinées”.
En 1971, Malraux à 70 ans, se déclare prêt à soutenir, avec une légion de volontaires, le combat des patriotes du Bangla Desh. Projet sans suite, contrarié par des facteurs politiques et personnels.
Loin du pouvoir, entrevoyant “la mort qui n’est pas loin”, Malraux s’acharne à écrire. Il publiera coup sur coup : ORAISONS FUNÈBRES, LA TÊTE D’OBSIDIENNE, LAZARE et HÔTES DE PASSAGE, L’HOMME PRÉCAIRE ET LA LITTÉRATURE ainsi que ET SUR LA TERRE… seront publiés à titre posthume.
Au terme d’une vie de combat pour la dignité et l’espoir, André Malraux nous quitte, avec ses questions, le 23 novembre 1976.
Il aura côtoyé les plus grands, tels de Gaulle, Mao Tsé Toung, Kennedy, Nehru, etc… et connu les artistes les plus en vue, tels Picasso, Chagall, Braque…
Génie parmi les génies, André Malraux apparaît comme l’une des plus vives et des plus ardentes forces intellectuelles de notre siècle, quoiqu’en disent ses détracteurs. Dans son inlassable recherche de transcendance, il nous lègue, par ses VOIX DU SILENCE, ce qui constitue le fondement de son oeuvre : l’humanisme tragique. “L’humanisme, ce n’est pas dire : ce que j’ai fait, aucun animal ne l’aurait fait”, c’est dire : “Nous avons refusé ce que voulait en nous la bête, et nous voulons retrouver l’homme partout où nous avons trouvé ce qui l’écrase”. […] “Sans doute, pour un croyant, ce long dialogue des métamorphoses et des résurrections s’unit-il en une voix divine, car l’homme ne devient homme que dans la poursuite de sa part la plus haute ; mais il est beau que l’animal qui sait qu’il doit mourir, arrache à l’ironie des nébuleuses le chant des constellations, et qu’il le lance au hasard des siècles, auxquels il imposera des paroles inconnues “.
Malraux, l’homme, est incomparable. Son destin ne l’est pas moins. L’image qu’il a projeté de lui-même dans la trame de son œuvre et de son action rend compte de sa vaste quête. Ses engagements politiques et ses interrogations relèvent, non d’un vaste esthétisme, mais d’une nécessité et d’un défi : restituer à l’homme la conscience de sa dignité.
Malraux est d’abord l’homme des libertés, sans dogme : “…essayant de tirer de lui-même des images assez puissantes pour nier son néant”. […] “Non par orgueil mais par besoin de transcendance”.
Barde des civilisations, il reconstitue sous nos yeux un univers de valeurs artistiques libéré du temps et de l’espace. pour lui, la métamorphose des œuvres d’art assure la permanence de cette démiurgie que constitue la Fraternité des artistes au-delà des millénaires et des climats.
D’aucuns ne lui voient ni prédécesseurs ni successeurs. La vérité est que Malraux est de cette race d’hommes exceptionnels réfractaires à toute tentative de “clonage”. Il fut et reste le fervent chantre et défenseur de la dignité humaine. Qui ne partagerait sa fraternité ?
Pierre M. Jaegly