La “Loi Malraux” en Espagne, un article du journal ABC traduit par Gérard Malgat

LA LOI MALRAUX EN ESPAGNE
Par José Luis ÁLVAREZ ÁLVAREZ

(Article paru dans le journal ABC du 31 juillet 1989, page 22)
Voir l’original : ABC Madrid 31 de julio de 1989

Un grand personnage de la culture française contemporaine, André Malraux, lorsqu’il fut ministre de la Culture, fit en 1968 une courte loi, la loi Malraux, dans laquelle il introduisit un précepte qui a ensuite été copié dans de nombreux autres pays. Ce précepte consistait à concéder aux Français la possibilité de payer à l’Etat l’impôt de succession non seulement avec de l’argent, mais aussi avec des œuvres d’art. C’est-à-dire que les héritiers, pour payer l’impôt découlant de la succession qu’ils recevaient, pouvaient offrir à l’Etat un paiement en œuvres d’art, et que celui-ci pouvait accepter cette offre, la valeur étant fixée d’un commun accord.

Cette norme, en apparence tellement simple, allait connaître un grand succès et se convertir, en peu de temps, en moyen le plus important d’enrichissement du patrimoine artistique des musées et des collections publiques de France. Le plus fameux et le plus célèbre de tous les cas de paiement de l’impôt par des œuvres d’art fut, sans doute, celui de l’héritage de Picasso. Ses héritiers, qui auraient eu à payer une somme considérable, offrirent des œuvres de l’artiste que l’Etat français, avec son intelligente politique culturelle habituelle, accepta sans hésiter, se retrouvant ainsi propriétaire d’une des meilleures collections de toiles de Picasso. Il put ainsi enrichir son patrimoine artistique et aujourd’hui nous pouvons dire qu’il fit une magnifique affaire, car la valeur actuelle de cet ensemble est très supérieure à ce qu’elle lui coûta alors, si l’on peut employer ce terme.

Dix ans après l’entrée en vigueur de la loi, dans un catalogue du Musée du Louvre de l’exposition des œuvres acceptées par l’Etat dans le cadre de l’application de la loi Malraux, il est affirmé que cette loi « constitue une réponse aux risques d’appauvrissement du Patrimoine et est actuellement un complément à l’enrichissement des musées par des donations et se substituera avantageusement à celles-ci dans le futur ». Ce texte se termine en rendant hommage, au nom du Patrimoine culturel français, aux Autorités de l’Etat qui mirent en œuvre cette loi et au Ministère des Finances qui comprit sa portée et la rendit efficace. L’exemple de la France, tant de fois mis en avant en matière de politique culturelle, produisit naturellement un effet mimétique dans d’autres pays, et on trouve aujourd’hui une clause semblable dans divers pays européens.

En Espagne, le projet de Loi de Patrimoine historico-artistique que le Gouvernement de l’UCD envoya au Parlement fut le premier qui introduisit cette norme, dans son article 72. Ce projet, publié dans le Bulletin des Assemblées daté du 14 septembre 1981, ne fut pas entériné comme loi suite à la dissolution anticipée des Assemblées en 1982. Mais le projet socialiste de 1985 maintint le même critère et la Loi de Patrimoine historique en vigueur reprend dans son article 73 le même principe de paiement des impôts avec des œuvres d’art cataloguées.

Conformément à ce précepte, peuvent être payés par des œuvres d’art non seulement l’impôt de succession, mais aussi celui de la Rente et du Patrimoine, ouvrant ainsi une source d’enrichissement des fonds des musées publiques qui devrait arriver à produire le même effet bénéfique qu’il a produit en France. Plus significativement encore en Espagne compte tenu de la maigreur de la ligne budgétaire ouverte pour ce type d’acquisitions, à tel point que l’on peut affirmer que les musées les plus importants, le Prado inclus, n’ont pas pu, depuis de nombreuses années, assumer un rythme d’acquisitions comparable à celui d’autres musées de catégorie semblable.

Cette possibilité ouverte par la loi a encore été très peu utilisée, peut-être par manque de diffusion de la procédure ou par manque d’initiative de l’Etat ou des contribuables, et nous devons nous féliciter de ce qu’il y a peu de temps, utilisant ce système, le Prado a acquis une importante œuvre de Cranach, peintre insuffisamment représenté dans notre premier musée.

Comme il est de coutume toujours, les critiques de cette initiative n’ont pas manqué, c’est pour cette raison que j’ai voulu rappeler le précédent français et signaler l’enrichissement que ce type d’action suppose pour le Patrimoine culturel, appliquant ainsi le propos de l’article 46 de la Constitution. L’idéal est que ce cas soit connu et que l’œuvre soit expressément exposée dans le Musée, afin qu’elle stimule la répétition de cas semblables.

Mais pour cela, il est fondamental que l’interprétation qu’en feront les ministères de la Culture et des Finances soit progressive et intelligente. La seule offre des contribuables n’est pas suffisante, il est aussi nécessaire qu’elle soit encouragée par les responsables de la Culture et des collections publiques, y compris de la part du Ministère des Finances en mettant ces biens en valeur, car la bonne issue de ces offres dépend, en réalité, avec notre loi en main, d’une commission dans laquelle ce Ministère à le dernier mot. En France, le fisc a été sensible à cette opération culturelle, d’où le grand succès de cette loi. Souhaitons qu’il en soit de même en Espagne et que la société contribue ainsi à satisfaire une demande culturelle croissante et comble ainsi quelques évidentes lacunes de nos collections publiques dans des écoles déterminées et, surtout, dans l’art des XIXème et XXème siècles.

Traduit par Gérard Malgat