En mémoire de Gérard Malgat qui vient de nous quitter

Il est parti le 5 août à Montluçon, laissant à l’été la chaleur de son empreinte.

Bien sûr, nous relirons ses écrits, ses ouvrages, avec les présences si vivantes de Max Aub, de Gilberto Bosques et bien sûr d’André Malraux, présences qui l’habitaient comme l’habitait l’Espagne dans ses couleurs et ses douleurs.

Et puis il était là, conférences,  colloques,  rencontres, avec sa grande générosité.

Merci à Antoni Cistero, son ami, de nous avoir écrit (lire ci-dessous) son absence ressentie que nous partageons tous, avec tous les siens vers qui, à ses côtés, convergent nos pensées

Merci à Antoni Cistero, son ami, de nous avoir écrit (lire ci-dessous) son absence ressentie que nous partageons tous, avec tous les siens vers qui, à ses côtés, convergent nos pensées

Pour toute l’équipe des AIAM, Joël Haxaire


CHRONIQUE D’UNE ABSENCE. À la mémoire de Gérard Malgat.

Par Antoni Cisteró

Lorsque l’on perd un être cher et respecté comme mon ami Gérard Malgat, on se raccroche à ce que l’on peut, autant dire … beaucoup dans son cas. La mémoire, bien sûr, ce tremblement intérieur à l’évocation de moments passés ensemble, comme lorsque, en compagnie de Fabiola, sa compagne, nous sommes allés voir quelques lieux du tournage de « Sierra de Teruel » à Collbató … lorsqu’elle a pris une photo de nous qui évoquait celle de Max Aub et d’André Malraux, la route en zigzag à l’arrière-plan, scène de la séquence XXXIX du film

Mais la mémoire est fragile, alors je suis allé voir les e-mails échangés avec lui, fidèles reflets de son caractère, toujours prêt à aider. Pour m’envoyer un article, ce lien qu’il pensait pouvoir m’intéresser. J’ai relu ses Chroniques d’un enfermement coronarural, six en tout, envoyées entre mars et avril 2020, au plus fort de la pandémie qui l’a tant affecté.

Dans le premier, avec la fine ironie de quelqu’un qui sait regarder le monde depuis sa cellule monastique, il note, par exemple :

Ce matin, en tirant le rideau de la porte qui donne sur le jardin, j’ai vu un cerf fouiller dans mes blettes. Il essaie de résoudre le problème avec le filet de protection que j’ai installé il y a quelques jours, car il a déjà visité mon potager et mangé quelques feuilles de mon rang de blettes. Elles avaient l’air splendides, en cet hiver trop doux, jusqu’aux visites de ce cerf. Je vais de ce pas l’avertir qu’à partir de 12 heures, il devra avoir une attestation de déplacement dérogatoire suite aux mesures annoncées par le président. Mais, non intéressé, il s’éloigne à petits pas vers le fond du jardin.

Avec des photos poétiques prises dans son jardin de l’Allier, il tente de surmonter les diktats de la pandémie qui l’empêchent de mener à bien ses fructueux voyages, ses conférences, ses visites d’archives en France, en Espagne ou au Mexique… Un mois plus tard seulement, dans sa Chronique numéro 6, la dernière, on peut lire à sa fin :

Ces dernières semaines, les discours de ceux qui nous gouvernent ont été teintés d’humanisme, empreints d’une soudaine lucidité. Ils prétendent accepter la fermeture de l’économie pour sauver nos vies, ils se déclarent en faveur de la revitalisation des services publics, des délocalisations et même des renationalisations. Mais en arrière-plan de ces belles déclarations d’intention, les marchés boursiers continuent de fonctionner comme si le coronavirus, la pandémie actuelle, ne pouvait pas menacer fondamentalement le vénérable CAC 40 et ses temples sacrés où sont cultivés ces autres virus, eux aussi très mortels : la spéculation financière et le profit à tout prix.

Contraste entre la vision idyllique de l’équilibre de la nature, et les lamentations hypocrites de la vie “régimentée” qu’il fuyait tant. Et il a terminé par un prémonitoire :

À suivre, peut-être….

Comme le disait son admiré André Malraux (cf http://evene.lefigaro.fr/citations/andre-malraux ) :

Le monde aurait pu être simple comme le ciel et la mer.

Mais cela n’a pas été, n’est pas et ne sera pas, et Gérard l’a perçu avec le facteur aggravant de l’isolement dû à la pandémie. Il a essayé de continuer, têtu dans son désir d’être utile. La dernière lettre que j’ai reçue de lui, en juin de l’année dernière, me demandait de m’excuser auprès de la Fondation Max Aub de ne pas pouvoir écrire une chronique de la rencontre de Carcassonne pour leur magazine et me suppliait de le faire. Il a déclaré : “Mon état de santé ne s’améliore pas et je ne me sens pas prêt à écrire ces jours-ci”.

Maintenant, en se souvenant de lui, les nombreuses occasions où sa générosité inépuisable et discrète s’est manifestée me viennent à l’esprit. Comme lorsqu’il a scrupuleusement traduit mon livre Campo de esperanza en français (Balzac Ed., 2017), ce que j’ai tenté de compenser en traduisant la correspondance entre Max Aub et André Malraux qu’il a éditée (Pagès ed., 2018), ou sa présence lors d’événements culturels à Barcelone,- comme la présentation de son livre sur Gilberto Bosques en présence du consul mexicain dans la ville en 2018 –  ou encore la conférence sur Max Aub à Carcassonne en 2019, en présence de la petite-fille de l’écrivain,Teresa Álvarez Aub.

Admirateur et chercheur de la trajectoire d’écrivains, André Malraux et Max Aub en premier lieu, et de militants des droits de l’homme comme Gilberto Bosques, il est dommage qu’il n’ait pas voulu, ou pu, diffuser plus largement son verbe facile et incisif. Il m’a dit dans un autre courriel, en mai 2021, tout en me félicitant pour mon site Web VisorHistoria (cf https://www.visorhistoria.com ) :

Je pense que c’est très bien que vous rassembliez votre travail sur plusieurs années, en croisant les thèmes et en les rapprochant d’autres sources. C’est ce que je devrais faire avec mes œuvres, ce que j’ai écrit est très éparpillé et souvent oublié et/ou relégué dans des magazines ou des fichiers informatiques souvent confidentiels.

Oui, dispersés mais pas oubliés. La graine n’a peut-être pas porté les fruits qu’elle méritait dans son propre jardin (où elle aurait pu être mangée par son « chevreuil »), mais l’air de sa générosité a répandu des données, des citations, des liens et des suggestions aux quatre vents, chacun ayant une chance de fructifier.

André Malraux, dans L’Espoir, reprend ce dialogue : (cf MALRAUX André – L’espoir – Paris – dans l’édition Gallimard Folio 1979 pp 465 et 466)

Scali : Dites donc, commandant, qu’est-ce qu’un homme peut faire de mieux de sa vie, selon vous ?

Garcia : Transformer en conscience une expérience aussi large que possible, mon bon ami.

Mon cher ami Gérard a recueilli ses propres expériences et celles d’autres personnes, de grands personnages historiques, les a élaborées et partagées, enrichissant non seulement la sienne, mais aussi la conscience de tous ceux qui l’ont aimé et à qui il manque tant aujourd’hui.

Dans un article de l’historien Arturo del Villar, qu’il m’a envoyé après le décès d’Elena Aub Barjau  (https://loquesomos.org/homenaje-a-elena-aub ), il y a une citation avec laquelle je voudrais conclure ces quelques lignes :

Un lecteur à chaque génération sauve l’auteur de l’oubli, et si l’auteur est un chroniqueur, cela le rend indispensable pour authentifier l’histoire. C’est le cas de Max Aub.

Et aussi celle de Gérard Malgat. Merci, mon ami.

Antoni Cistero