Le 27 juillet 2019, une plaque commémorative a été inaugurée à la mémoire de Florence Malraux dans le village de Sabadel-Lauzès (Lot)

Le maire de Sabadel-Lauzès, Patrick de Toffoli, auquel s’était joint sa femme Martine, les membres du Conseil municipal, ainsi que Robert Badinier, ont préparé la cérémonie d’inauguration de la plaque commémorative du passage de Florence Malraux dans ce village en 1940. La cérémonie s’est déroulée dans l’ancienne école, là où les époux Capoulade, couple d’instituteurs, ont hébergé et caché, pendant la guerre, Florence Malraux.

En présence de M. Aurélien Pradie, député du Lot, la manifestation était placée sous la présidence de Pierre Coureux, au nom des Amitiés Internationales André Malraux et sous l’amical patronage de M. Robert Badinier, délégué régional Occitanie de l’association Mémoire et Espoirs de la résistance.

Plusieurs personnes ou simples citoyens ont accepté de venir témoigner en évoquant le souvenir laissé par Florence Malraux et ce couple d’instituteurs.
Un message enregistré de Martine de Rabaudy (auteure de A l’Absente) a été diffusé lors de la cérémonie.

Photos1 : M. Patrick de Toffoli, maire de Sabadel-Lauzès et Robert Badinier.
Photo2 : M. Aurélien Pradie, député du Lot.

PROGRAMME DE LA CEREMONIE D’HOMMAGE
A FLORENCE MALRAUX ET AUX EPOUX CAPOULADE
A LA MAIRIE DE SABADEL-LAUZES LE SAMEDI 27 JUILLET A 15H

Prises de paroles :

-Patrick de Toffoli, maire de Sabadel-Lauzès.
-Robert Badinier, délégué régional Midi-Pyrénées de Mémoire et Espoirs de la Résistance.
-L’Hymne européen.
-Pierre Coureux, président-fondateur des Amitiés Internationales André Malraux.
-Françoise Lapergue, conseillère départementale.
-Aurélien Pradié, député du Lot.

Mise en scène :

-Présentation de la mise en scène par Martine de Toffoli, conseillère municipale.
-Lecture d’extraits du livre de Martine de Rabaudy : « A l’absente » paru chez Gallimard en 2019 et dévoilement de panneaux pédagogiques, par dix participants.
-Fond musical : chant des partisans (en boucle).
-Dévoilement de la plaque du souvenir par Patrick de Toffoli et les membres du conseil municipal, accompagnés par Aurélien Pradié et Françoise Lapergue, en présence de Pierre Coureux, de Robert Badinier de Laurent Robène, de Maguy Denègre, de Jean-Luc Couderc, représentant le musée de la Résistance et de la Déportation du Lot.
-La Marseillaise.
-Collation.
-Projection d’un diaporama sur la vie de Florence Malraux.
-Témoignages :
de Martine de Rabaudy.
de Lucienne Hamon.
de Laurent Robène.
de Maguy Denègre.

            ALLOCUTION DE ROBERT BADINIER A LA MAIRIE DE SABADEL-LAUZES

Monsieur le député,
Monsieur le maire, cher Patrick,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le président, cher Pierre,
Chers amis,

Depuis le mois de mars dernier, je suis en relation avec une amie d’enfance de Florence Malraux avec laquelle elle jouait dans les années quarante lors des visites que rendait sa mère Suzanne à Clara Malraux qui était réfugiée à Montauban où séjournait aussi la famille de Léo Hamon. Celui-ci était responsable régional du mouvement Combat, membre du Comité parisien de libération, parlementaire et ministre. Il s’agit de Lucienne, sa fille, qui a aujourd’hui 88 ans. Je lui téléphone chaque semaine pour lui rendre compte des démarches que nous faisons pour tenter de retrouver l’emplacement de la villa des Pâquerettes à Montauban où étaient repliées Clara et Florence, aux côtés de Madeleine et son fils Serge, veuve de Léo Lagrange, ancien ministre du Front Populaire. Ses informations m’ont été précieuses. Lucienne me rappelait récemment que c’est son père, apprenant que Clara venait de déclarer sa judéité, qui l’avait amenée à réaliser « qu’elle n’était pas là pour se soumettre aux ordres de l’occupant. » Il parvint à la dissuader de se signaler.

Ces démarches, hélas demeurées vaines pour le moment, devaient déboucher initialement à l’apposition d’une plaque du souvenir en hommage à Florence à Montauban. Cet hommage, c’est à Sabadel qu’il aura lieu d’abord, celui que nous devions concrétiser à Montauban sera organisé plus tard. Les circonstances en ont décidé ainsi. Mon propos n’a pas d’autre intention que de situer l’historique de notre projet en l’inscrivant dans son contexte culturel.

En cette année de soixantième anniversaire de la création du ministère des affaires culturelles, notre rencontre d’aujourd’hui revêt un caractère d’autant plus symbolique. Elle repose sur un réseau d’amitiés qui s’est créé autour de ceux qui se sont mobilisés, à la suite d’André Malraux, pour promouvoir la dignité de la personne humaine, la valeur suprême de l’existence. C’est cet état d’esprit qui nous a animés lors de l’hommage qu nous avons rendu à Montauban en 2001 à l’écrivain André Chamson, résistant, académicien, qui était avec André Malraux le cofondateur de la Brigade Alsace-Lorraine. L’année suivante, l’hommage à Suzanne et Léo Hamon devant leur domicile familial à Montauban sous l’Occupation nous a permis de comprendre les liens privilégiés qu’ils avaient noués avec Florence et Clara Malraux.

Plus tard, en 2018, c’est grâce aux renseignements fournis par Roger Lefort, ancien résistant au maquis FTP du Lot, vétéran du bataillon Metz de la Brigade Alsace-Lorraine, que nous avons pu rendre hommage à son chef, André Malraux, en partenariat avec Pierre Coureux, président fondateur des Amitiés Internationales André Malraux et Micheline Cellier, biographe d’André Chamson. C’est à l’occasion de l’annonce du décès de Florence Malraux en octobre de la même année que le projet d’hommage à Clara et Florence Malraux qui avait longtemps germé dans notre esprit, allait pouvoir être réactivé. C’est à Pierre Coureux que nous devons d’avoir pu découvrir la belle personnalité de Florence, très appréciée pour sa générosité, son sens aigu de l’empathie et son indépendance d’esprit. Ce n’est pas étonnant quand on connaît l’influence qu’a eue Edgar Nahoum, devenu Edgar Morin, le grand penseur de la complexité, « futur défenseur de la conscience planétaire  et de la politique de civilisation », l’un des deux personnages essentiels avec le romancier Louis Guilloux qui ont marqué l’enfance de Florence Malraux. Il n’est pas étonnant non plus lorsqu’elle était en charge de « l’Avance sur recettes », au Centre National du Cinéma, qu’elle ait sauvé Claude Lanzman pour pallier les difficultés de financement de son film sur la Shoah.

La chance a  voulu que Françoise de la Guériviere ait pu me mettre en contact avec l’un de ses amis lotois, Marcel Capoulade, au nom prédestiné, qui nous a communiqué des informations sur le livre qu’a consacré Michel Magot à l’histoire de Sabadel-Lauzès et la copie d’un document officiel attestant la présence de Florence Malraux sur la liste annuelle d’inscription des élèves.  C’est  grâce à Patrick de Toffoli enfin que le projet a pu voir le jour. Son adhésion a été immédiate.  Elle répondait à une attente qui l’a comblé de joie. La fermeture de l’école l’ayant profondément marqué, il souhaitait qu’elle garde une trace pour l’avenir des générations montantes. Cette haute idée du travail de mémoire était de bon augure. Le 14 mai dernier, il nous accueillit chaleureusement à la mairie avec trois de ses conseillers municipaux. A l’issue de la réunion nous avons pu élaborer le texte de la plaque du souvenir et décider de la mise en œuvre du projet que nous souhaitions dédier à Florence Malraux et aux époux Capoulade qui l’avaient hébergée.

Elle faisait écho à l’esprit de la Résistance qui animait Théophile Capoulade et son épouse dont l’audace et le courage ont fait honneur à notre République. « Florence les appelait « Tonton » et « Tatie », de sorte que les villageois la prenaient pour leur nièce parisienne » reconnaissait Clara dans ses Mémoires. Ces deux enseignants ont su témoigner par leur façon d’être au monde de la fraternité, en montrant que tout être humain digne de ce nom ne peut s’épanouir qu’en progressant toujours plus dans la relation à l’autre. Ils ont ainsi contribué à affermir la personnalité d’une fillette espiègle qui allait devenir l’une des plus jeunes résistantes de notre pays. Sa mère allait lui faire connaître l’héroïsme du quotidien à travers la vie clandestine, les vicissitudes du combat de la liberté et les aléas de l’errance qui les ont conduites d’un lieu de refuge à un autre pour échapper à la Gestapo.

C’est aussi grâce à l’aide d’un enfant du pays, ami de Clara Malraux, Georges Duveau, professeur et amateur d’art, originaire de Lauzès, qu’elle a pu non seulement trouver à sa fille une famille d’accueil dans le Lot, de novembre 1939 au début de 1940, mais aussi quelques mois plus tard, une maison à louer, à la sortie du village, à Puech del Luch, où elle écrivit son premier roman « Le portrait de Grisélidis ».  Le 18 juin, c’est chez les Duveau où il lui arrivait de passer des soirées avec Florence qu’elles entendirent à la radio de Londres l’Appel du général de Gaulle. A l’hiver 40, c’est grâce à  Jean-Marie Sotty, un ami médecin de Georges Duveau, qu’elle peut trouver un centre d’hébergement à Toulouse où elle allait pour un temps demeurer avec sa fille avant de chercher refuge à Montauban lors de la débâcle. C’est aussi un autre ami de Georges Duveau, Monseigneur Saliège, alors recteur de l’Institut catholique de Toulouse, qui interviendra pour protéger Florence, en acceptant de la faire baptiser dans l’urgence. Avec deux grands-parents juifs, elle devait être déclarée.

Florence était soignée pour son anémie. C’est à l’occasion d’une des visites que rendit Clara Malraux à Camille Soula, professeur à la faculté de médecine de Toulouse, qu’il lui révèla ses activités dans la Résistance. Il assurait le passage de la frontière vers l’Espagne. Clara lui proposa son aide : la reproduction de plans et d’itinéraires pour ceux qui veulent passer les Pyrénées et rejoindre les Forces françaises libres. C’est ainsi qu’elle entra en résistance. Elle fera partie de juin 1942 à mars 1944 du Mouvement de Résistance des Prisonniers de guerre et Déportés dont le réseau avait établi ses quartiers entre Toulouse, Lyon et Cahors .

Pour tous les hôtes de la rue Pyrénées à Toulouse, comme le dit si bien Dominique Bona, la biographe de Clara Malraux, « Ces amis, rassemblés par une femme qui n’aime rien tant que l’amitié, sont unis par la commune expérience du danger, de l’exclusion et de la pauvreté. Ils partagent une même volonté de résister à l’occupant, de ne pas plier l’échine ; ce sont des révoltés du destin, que la passivité rebute et qui ont choisi de ne pas accepter la collaboration ». Dans cette atmosphère propice à l’amitié, il arrivait à Clara d’entendre chantonner Florence « Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand », « une petite rengaine qu’elle réservait sagement à l’intimité », disait-elle.

Nous sommes très sensibles aux encouragements que nous ont apporté cette académicienne, ainsi que Michèle Daniel et Martine de Rabaudy, l’auteur d’un ouvrage remarquable qu’elle vient de consacrer à son amie Florence dont nous avons sélectionné quelques extraits pour la mise en scène que Martine Malquier va vous présenter dans quelques instants. Elles ont su montrer les formidables attraits de l’esprit humain lorsqu’il parvient à révéler le langage du coeur. C’est ce qui permet à la morale, comme le dit, Jankélévitch, un ami de Clara,  « d’être une théorie pratique ».

Nous avons hâte d’écouter maintenant Pierre Coureux qui va nous parler de « la petite Capoulade » dont il a pu admirer le talent et les grandes qualités humaines.

MISE EN SCÈNE DE LA « PRÉSENCE » DE FLORENCE MALRAUX               

Le texte de la mise en scène que les enfants de Sabadel-Lauzès vont présenter aujourd’hui est un ensemble d’extraits d’un livre de Martine de Rabaudy, journaliste et essayiste, une amie de Florence Malraux qu’elle accompagna durant les mois qui ont suivi l’annonce de la maladie jusqu’à sa mort en octobre 2018.  Ils font revivre l’univers intérieur de cette enfant qui vécut sur « une terre de souffrances où elle parvint à devenir cette femme passionnée qui accompagna tant d’intellectuels et d’artistes tout au long de sa vie ». Son enfance n’avait duré que quelques semaines, celles qu’elle a passé à Sabadel-Lauzès début octobre 1939 où elle fut cachée par sa mère Clara pendant quatre mois chez un couple d’instituteurs courageux, les Capoulade. Elle avait tout juste 7 ans.

1er lecteur : « Au cours d’une insomnie, je me projetai dans ton absence à venir et songeai que la façon de l’atténuer serait de t’écrire une longue lettre posthume qui prolongerait notre temps ensemble et te raconterait. (…) Nous redonnerions avantage à la vie, à ta vie. »

 2ème lecteur : « Clara évoquait votre errance en zone libre pour échapper à la Gestapo. J’y découvrais la petite Florence, plus raisonnable et grave que les adultes qui l’entouraient, consciente du danger, son silence obligé, sa parole contrôlée, sa maîtrise de la peur. »

3ème lecteur : « Clara, l’intrépide n’hésitait pas à t’impliquer dans ses missions. Elle dissimulait avec ton accord dans le panier de ton goûter faux papiers et faux tampons que tu transportais, devenant par là la plus jeune des résistantes. »

4ème lecteur : « Un passage m’avait chavirée : « Tu sais, je me suis inventée une prière que je récite chaque soir : « Mon Dieu, faites que j’oublie que Morin s’appelle Nahoum, qu’Hamon s’appelle Goldenberg, que Jean s’appelle Gérard », tous camarades de son résau dans la Résistance. Nahoum, devenu Edgar Morin, dernier témoin vivant de ton enfance, s’adressait à toi ainsi : »Ma chère et plus ancienne amie. » Clara disait : » C’est l’homme le plus intelligent que je connaisse…après ton père, bien entendu ! Edgar et toi en riiez. Tu le voyais rarement, cependant il restait un pilier de ton existence. »

5ème lecteur : « En 1940, ayant écouté le discours du maréchal Pétain, ulcérée tu t’indignais : « Après ce qu’il vient de dire, il a le culot de faire jouer la Marseillaise. » A neuf ans, alors que Clara se plaignait au cours de l’une de vos fuites, tu lui assénas : »Si tu étais incapable de résister jusqu’au bout, il ne fallait pas commencer ». A dix ans, tu te tourmentais : « Je me demande si je donnerais des noms sous la torture. » Hantise qui renaîtrait lors des « Evénements » d’Algérie.

6ème lecteur : « Pendant la guerre, fuyant la Gestapo d’une ville à l’autre, d’un refuge à l’autre, Clara décrivait ton rituel, quand après vos journées de fugitives vous vous posiez dans un endroit supposé sûr : « Flo sortait d’un étui qu’elle portait sur le côté une dizaine de cartes postales, reproductions de peintures toutes plus ou moins récentes. Un instant, elle regardait « son » Cézanne, « son » Renoir, « son » Braque, « son » Rouault, « son » Picasso. Puis, lestée d’un nouveau courage, rangeait le tout sagement. » A 10 ans tu créais ton Musée imaginaire. »

7ème lecteur : « Clara reconnaissait : « Florence fut pour André dans le domaine de l’art une merveilleuse complice. Et la seule créature humaine qui osa s’opposer à lui. » Adolescente, il t’avait proposé de t’emmener chez le général de Gaulle, tu lui avais répondu : « Je préférerais que tu me présentes Picasso . » Ce qu’il avait fait pour tes quinze ans en t’invitant à l’accompagner à un vernissage. Picasso délaissa les autres présences et te guida dans l’exposition.

8ème lecteur : «  A propos du Général, comme Malraux l’appelait, tu déclarais : « De Gaulle a été la femme de sa vie ! » Chez les de Gaulle tu choisissais Geneviève, sa nièce, résistante, rescapée avec son amie Germaine Tillion du camp de Ravensbrück et épouse de Bernard Anthonioz, le directeur de cabinet de ton père au ministère des Affaires culturelles. Aujourd’hui, Geneviève de Gaulle l’a rejoint au Panthéon. »

9ème lecteur : « En ce qui concerne ta judéité, Clara racontait qu’à un moment, tu répétais : « Moi qui suis juive ! », et elle rectifiait que tu ne l’étais que pour moitié mais tu rétorquais : « J’ai été juive quatre ans avec toi. » De ces quatre années qui pénalisèrent ton enfance, tu conservais le réflexe de garder ton passeport à portée de main pour fuir au cas où… A la question : « Qu’emporteriez-vous si votre maison brûlait ? », ta réponse invariable : mon passeport ! »