La ministre de la Culture et de la Communication et le maire de Bordeaux ouvrent les travaux du colloque commémorant les 50 ans de la loi Malraux

Aurélie Philippetti   Mme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication et M. Alain Juppé, maire de Bordeaux ont ouvert les travaux du colloque commémorant les 50 ans de la loi Malraux, à Bordeaux les 15, 16 et 17 novembre 2012.

 

 

Voir le reportage sur France3 Aquitaine : http://aquitaine.france3.fr/2012/11/15/aurelie-filipetti-bordeaux-pour-un-cinquantenaire-143960.html

Sur le site de la ville de Bordeaux : http://www.bordeaux2030.fr/Actualites/Loi-Malraux

Texte du discours de Mme la Ministre de la Culture et de la Communication :

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Ouverture du colloque « Commémoration du cinquantenaire de la loi Malraux Sur les secteurs sauvegardés »

Bordeaux, jeudi 15 novembre 2012

Monsieur le Préfet de la région Aquitaine,
Monsieur le président de la région Midi-Pyrénées,
Monsieur le maire de Bordeaux,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le directeur général patrimoines,
Madame la directrice chargée des musées de France,
Madame la chef du service du patrimoine,
Monsieur le directeur régional des affaires culturelles,
Monsieur le président des « rencontres », cher Yves Dauge,
Mesdames, Messieurs,

« Il y a deux choses dans un édifice, son usage et sa beauté ; son usage appartient à son seul propriétaire, sa beauté à tout le monde ». C’est sous l’égide de cette phrase de Victor Hugo, écrite en 1825, que j’aimerais placer les travaux de ce colloque commémorant la loi de 1962. La conception du patrimoine qu’elle exprime me paraît visionnaire : protéger les « édifices » pour reprendre les mots d’Hugo, ce n’est pas préserver des intérêts particuliers, c’est mettre la beauté à la disposition de tous. Placer le patrimoine au cœur de l’espace public est l’ambition que j’entends porter.

Cette ambition, je la puise au cœur du ministère que j’ai l’honneur de conduire et de ses valeurs fondatrices. En défendant la loi du 4 août 1962, Malraux a inscrit la protection et la mise en valeur du patrimoine au rang d’objectif fondamental de la politique culturelle. Et quel symbole que cette inscription soit le fait de ce grand créateur, admirateur et ami des plus grands artistes du siècle passé, lui qui appela Le Corbusier « son vieux maître » lors de l’hommage qu’il lui rendit au nom du Gouvernement en 1965. Malraux avait compris que la beauté ne se divise pas, que la création se nourrit du patrimoine, que tout art, même révolutionnaire, s’inscrit dans une histoire.

Le message d’Hugo, la leçon de Malraux doivent être rappelés parce que ces deux génies nous montrent la voie de l’avenir. J’entends ici et là, trop souvent encore, que la protection du patrimoine serait passéiste, qu’elle coûterait trop cher à la collectivité, qu’elle serait un obstacle au développement urbain. Et l’on vient instruire le procès des architectes des bâtiments de France, des responsables de l’archéologie préventive, des commissions de spécialistes du patrimoine à qui l’on reproche de faire leur travail. Mais c’est cette conception, et non la protection du patrimoine, qui est dépassée.

Imaginons un instant à quoi ressemblerait notre pays si le ministre de la Culture et de la Communication n’avait pas, il y a cinquante ans, en accord avec le ministre de l’urbanisme et du logement Pierre Sudreau, conçu cette belle loi d’équilibre entre préservation de l’existant et rénovation urbaine ? A quoi ressembleraient les centres de nos plus belles villes – et Bordeaux en est l’un des plus beaux témoignages – si, au nom d’une modernité mal comprise, l’héritage historique en avait été éradiqué ? Que resterait-il du plaisir simple et gratuit de flâner en contemplant ce que la juxtaposition des époques et la diversité des goûts au fil des siècles a apporté à l’identité urbaine ? Où serait ce formidable levier économique qui permet à toutes les entreprises du patrimoine et du tourisme de prospérer grâce à l’attractivité du patrimoine urbain ?

Oui, il fut un temps, où l’on envisageait de détruire le quartier du Marais à Paris et ses « taudis historiques » – la formule a bien été employée. Cette époque est heureusement révolue, mais c’est justement parce que le législateur, à l’initiative du Gouvernement, a su mettre un terme à ces excès par des textes comme celui que nous commémorons aujourd’hui.

Il faut accepter l’importance et la diversité du patrimoine. On classe aujourd’hui beaucoup moins qu’il y a encore quelques années au titre des monuments historiques, mais, c’est vrai, le champ de l’intérêt patrimonial s’est élargi. Ici encore, j’entends les critiques de ceux pour qui le patrimoine se limite aux cathédrales, aux châteaux et aux hôtels particuliers. Ils font peu de cas des milliers de visiteurs que j’ai pu voir à Noisiel, à l’occasion des dernières journées du patrimoine, venus pour admirer l’architecture industrielle de l’ancienne chocolaterie Meunier. Ils ne respectent pas la mobilisation associative de nos concitoyens, de tout milieu et de toutes tendances qui a permis, en juillet dernier, la reconnaissance du bassin minier uni au titre du patrimoine de l’humanité.

Je suis heureuse d’être parmi vous pour introduire ce colloque, au cœur de cette belle diversité faite d’élus, de chercheurs, d’architectes, de responsables administratifs, d’entrepreneurs, et d’artistes qui attestent de la vitalité du monde du patrimoine. La politique publique du patrimoine se fait aujourd’hui et se construira demain par le partenariat. Et ce colloque, organisé conjointement par le ministère de la Culture et de la Communication, la ville de Bordeaux, l’association nationale des villes et pays d’art et d’histoire et des villes à secteurs sauvegardés et protégés, et les amitiés internationales André Malraux, en est une parfaite illustration. Alain Juppé vient de s’exprimer et Martin Malvy va bientôt prendre de la parole : ce sont de grands élus et je mesure tout le poids de leur soutien à une politique publique du patrimoine forte que traduit leur présence ici. Je remercie chaleureusement toutes celles et ceux qui ont contribué à l’organisation de ce colloque.

Je voudrais saluer tout particulièrement l’action de l’association nationale des villes et pays d’art et d’histoire et des villes à secteurs sauvegardés et protégés, partenaire depuis 2005 du ministère de la Culture et dont l’engagement de terrain auprès de près de 200 collectivités adhérentes contribue grandement à la préservation et à la valorisation du patrimoine. Tout à l’heure, sera lancé l’ouvrage Paroles d’élus, les secteurs sauvegardés, rassemblant les témoignages de quinze élus engagés dans une démarche d’urbanisme patrimonial porteuse d’ambition pour leur territoire. Ce retour d’expérience d’acteurs de terrain, contribuera, j’en suis certaine, d’inciter d’autres responsables publics à s’engager dans cette démarche de protection patrimoniale.

Je laisserai à Yves Dauge le soin de vous dévoiler le programme de vos journées, mais je me réjouis beaucoup de l’équilibre trouvé entre, d’une part, retour sur la genèse de la loi et son application, d’autre part, perspectives d’avenir abordant ces questions essentielles pour l’avenir du patrimoine que sont le développement durable, la rénovation urbaine et l’économie.

C’est vers l’avenir, justement, que je voudrais me tourner à présent.

Depuis quelques mois, les questions budgétaires m’ont beaucoup occupée, ainsi que mon équipe. Vous le savez, l’impératif de rétablissement de l’équilibre des finances publiques est pour le Gouvernement un objectif absolument prioritaire. Pour atteindre cet objectif, un effort budgétaire a été demandé à l’ensemble des ministères et le secteur du patrimoine est aussi concerné. Je me suis attachée à répartir cet effort budgétaire le plus équitablement possible en y faisant contribuer prioritairement les grands opérateurs culturels publics. J’ai en revanche tenu à préserver, pour l’année à venir, les investissements dans les monuments historiques, dont le niveau d’engagement demeure égal à ce qu’il était en 2012. J’ai également obtenu que le dispositif fiscal dit « Malraux », qui constitue, vous le savez, une incitation très efficace à la réhabilitation pour mise en location du patrimoine, soit maintenu. Cela était loin d’être acquis, dans la mesure où ce dispositif pouvait subir le sort d’autres incitations fiscales ciblées. Il a fallu une forte mobilisation du ministère de la Culture et de la Communication pour sauver ce dispositif et il faut se réjouir de ce succès.

Malgré tout, des inquiétudes s’expriment, notamment dans le monde des entreprises spécialisées dans le patrimoine bâti. J’entends ces inquiétudes et je les comprends. Elles me donnent l’occasion de dire une nouvelle fois que la dimension économique du patrimoine est essentielle. Les entreprises travaillant dans le domaine du patrimoine ont un haut niveau de compétence et accueillent en leur sein des salariés formés aux métiers d’arts dont la compétence est reconnue bien au-delà de nos frontières. Ces entreprises ont toute leur place dans ce partenariat patrimonial que j’évoquais tout à l’heure. C’est à leur savoir-faire que l’on doit la qualité des restaurations effectuées sur nos monuments. Elles fournissent un emploi qualifié et non délocalisable. Elles représentent un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros. Le ministère de la Culture et de la Communication a besoin de leur expertise et de leur talent : il sera à leurs côtés pour franchir cette période délicate.

Les questions budgétaires sont naturellement importantes, mais elles ne font pas une politique publique. Depuis mon arrivée dans ces fonctions, vous avez compris que mon objectif est de redonner du sens à l’action de l’Etat dans le domaine culturel, de la faire bénéficier de ce réarmement intellectuel dont elle a tant besoin.

C’est pour cela que j’ai demandé aux services du ministère de préparer un projet de loi sur le patrimoine que je compte soumettre à la concertation interministérielle en 2013. Quelle belle occasion de le dire ici, alors que nous sommes réunis pour commémorer l’une des plus grandes lois jamais écrites pour notre droit sur le patrimoine. Alors que le ministère venait juste de naître, cette belle loi lui a fixé un cap, une ambition et des objectifs durables. Cinquante ans après, en lançant ce chantier législatif, j’ai le même but.

La matière pour ce projet de loi ne manque pas. D’ailleurs, depuis mon entrée en fonctions, je constate que pas une semaine ne se passe sans que les propositions de loi les plus diverses ne viennent tenter de modifier le droit du patrimoine à un titre où à un autre. Je ne voudrais pas que le ministère de la Culture et de la Communication soit le seul à ne pas s’occuper de ce droit.

Vous le savez, je souhaite que l’ambition du projet de loi soit de porter sur le patrimoine dans toute sa diversité : monuments historiques, espaces protégés, archéologie, architecture, archives et musées. Les formes sont diverses mais la matière est unique et doit être conçue comme un tout. Toutefois, c’est aujourd’hui, plus particulièrement sur les questions touchant au patrimoine bâti que je veux insister.

Je veux dire d’abord que les dispositions législatives que nous allons élaborer ne doivent pas se construire contre la rénovation urbaine, le logement social ou l’environnement. S’engager dans cette voie serait nécessairement une impasse et je ne pourrais pas défendre un texte qui irait à l’encontre de politiques publiques auxquelles mon parcours montre que je suis profondément attachée. C’est pourquoi je tiens à ce que ces dispositions soient élaborées en parfaite concertation avec les ministères de l’Ecologie et du Logement, afin de définir les solutions permettant de concilier les exigences de la protection du patrimoine et des paysages et celles, notamment, du développement des énergies nouvelles.

Ces dispositions législatives n’auront pas non plus pour objectif de s’opposer à la création, notamment architecturale. Je me rendrai tout à l’heure à Arc en rêve pour manifester mon attachement à cette pensée dynamique sur le renouvellement urbain des métropoles que porte cette institution. Il y a cinquante ans, il fallait sauvegarder, parce que l’objectif de qualité architecturale était trop peu présent dans des politiques de construction à courte vue et sans ambition esthétique. Aujourd’hui, heureusement, la situation a changé et il faut donc renouveler l’équilibre entre protection et création conçu par la loi de 1962, mais en tenant compte des progrès accomplis en matière de qualité architecturale.

Le projet de loi ne devra pas, enfin, s’en tenir au patrimoine des centres urbains et ignorer la question des paysages, dont le ministère de la Culture et de la Communication s’est aussi vu confier la responsabilité. Je tiens beaucoup, vous le savez à cette articulation entre la culture et la notion d’espace public, dont les paysages offrent une très belle illustration parce qu’ils sont accessibles à tous gratuitement. Les paysages en tant que tels, et les édifices qui s’y trouvent, font partie du patrimoine et doivent être reconnus comme tels.

Je viens de tracer en creux les contours du projet de loi en disant ce qu’il ne serait pas. Je voudrais à présent conclure mon propos en vous donnant quelques éléments du contenu que le ministère de la Culture et de la Communication souhaite, à ce stade, lui donner, étant entendu que le processus d’élaboration de ce texte en est à ses premiers pas.

Il faut, tout d’abord, prendre en compte l’internationalisation du droit du patrimoine. Plus tardivement, sans doute, que d’autres branches du droit, mais de manière non moins effective, ce droit se trouve à présent sous l’influence de normes internationales. C’est notamment le cas des conventions de l’UNESCO, qui ne bénéficient pas encore d’une inscription effective dans notre droit, alors que des parties de plus en plus importantes de notre territoire sont désormais inscrites au patrimoine de l’humanité. Cette situation n’est pas satisfaisante, car cette inscription n’emporte aucune conséquence autre que le contrôle organisé par cette organisation internationale. Mettre fin à ce vide juridique est un objectif du projet de loi.

Il faut, ensuite, mieux articuler le droit du patrimoine et le droit de l’urbanisme. Le droit du patrimoine est, aujourd’hui, encore trop axé sur le contrôle a posteriori des choix faits en amont sur le fondement du code de l’urbanisme. Cela explique en partie l’irritation causée ici et là par l’application des règles patrimoniales qui, n’étant pas anticipées par les documents d’urbanisme, sont vécues comme une censure inattendue de tel ou tel projet. Cette situation fâcheuse serait évitée si la dimension patrimoniale était prise en compte dès l’élaboration des documents d’urbanisme, comme le sont ces autres objectifs de développement durable – car le patrimoine en est un – que sont la performance énergétique ou la qualité des eaux.

Il convient, enfin, de repenser l’ensemble des dispositifs de protection patrimoniale, et les secteurs sauvegardés en sont un, afin de les rendre plus lisibles et de les adapter aux enjeux actuels et futurs de l’urbanisme et du paysage. Ces dispositifs pourraient être recentrés autour de trois ensembles, correspondant aux zones urbaines riches en patrimoine, aux espaces naturels et aux territoires mêlant nature et présence humaine, au sein desquels les dispositifs de protection pourraient être mis en cohérence. Cette évolution rendrait notre droit du patrimoine plus intelligible pour le plus grand bénéfice de tous les acteurs, à commencer par les aménageurs.

Vous le voyez, les chantiers sont nombreux et riches. Et d’autres pistes doivent également être explorées. Je sais, par exemple, l’attachement du président Malvy à la conciliation entre réhabilitation du patrimoine et logement social : il faut évidemment voir de quels leviers législatifs nous pourrions disposer pour favoriser cette politique de mixité sociale, car aucune catégorie sociale ne doit être exclue de l’accès au logement dans les secteurs protégés au titre du patrimoine.

Et je ne terminerai pas cette intervention sans redire ma grande préoccupation quant à ce délai couperet de 2015 instauré pour la transformation des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) en aires de valorisation du patrimoine (AVAP), qui fera immanquablement disparaître bon nombre des protections aujourd’hui existantes.

Je souhaite que, dans toute la mesure du possible, ce projet de loi soit partagé par l’ensemble des acteurs du patrimoine. Outre le cours normal de la concertation interministérielle, je demanderai donc à mes collaborateurs d’échanger régulièrement avec les élus, les militants associatifs et les représentants des métiers du patrimoine, sur la teneur de ce projet de loi et de recueillir leurs propositions.

Il me reste à vous souhaiter un excellent colloque et à vous remercier, intervenants et participants, de contribuer à cette vie intellectuelle de la politique culturelle, qui constitue le plus beau des hommages à Malraux. Les idées qui émergeront de ce colloque pourront aussi trouver leur traduction dans le projet de loi. Je compte sur vous.

Je vous remercie.