Malraux et la spiritualité asiatique par M. He Fei, doctorant

                 Malraux et la spiritualité asiatique par M. He Fei, doctorant

En 1972, Malraux est hospitalisé à Paris, à l’hôpital de la Salpêtrière. Il y frôle la mort de très près, il prend vraiment conscience que sa fin est proche, d’ailleurs il va décéder quelques courtes années après. De cette expérience va naître son ouvrage Lazare qui nous offre le témoignage exceptionnel d’un homme d’exception. Avec ce titre, « Lazare », il fait bien entendu allusion au personnage de l’Évangile appelé Lazare que le Christ a miraculeusement fait revivre, Lazare était mort, il revit, il mourra à nouveau, c’est le sort de tous. A l’hôpital, Malraux a failli connaître ce genre d’expérience. Après avoir côtoyé la fin inéluctable, de syncopes en rémissions, et profitant de courts moments de lucidité, l’écrivain note ses impressions, sensations, angoisses et nous livre ce qu’il considère comme son testament littéraire. Il dit à la première page du livre : « puisque je travaille peut-être à ma dernière œuvre, j’ai repris dans Les Noyers de l’Altenburg…» (1). 

L’heure n’est plus alors pour Malraux d’incarner un personnage de légende, recherché par les médias, admiré par la jeunesse, personnage officiel d’ importance ministre auréolé de gloire, d’écrivain célèbre mais aussi un peu mythomane. L’heure est à la sincérité devant l’échéance ultime. C’est dans ces circonstances qu’ il cite le titre d’un livre écrit trente ans auparavant Les Noyersde l’Altenburg. C’est dire l’importance qu’il accorde aux évènements qu’il reprend alors de ce livre, en particulier cette vision des Noyers qui donne le titre à l’ouvrage. Les Noyers de l’Altenburg, ce livre s’intitulait auparavant La lutte avec l’ange et faisait référence à un passage de la Bibleoù Jacob combat toute une nuit contre un ange. Ce rappel biblique illustre le combat inégal de tout homme contre le tragique de son destin, ses angoisses, ses finitudes dont la mort n’est pas la moindre. Tout l’enjeu de l’existence consiste à « dépasser son destin ».

Ce dépassement trouve ses points d’appui dans l’action, notamment dans la fraternité au combat, ce sera le Malraux de la guerre d’Espagne ou du maquis ; dans l’art, ce sera le Malraux écrivain et esthète. Mais derrière tout cela et au-delà ce sera surtout le Malraux passionné de spiritualité orientale, attiré vers elle, notamment par la relative facilité que semble entretenir cette culture avec la mort. Ce dernier point revient sans cesse dans Lazare. Voilà qui va nous fournir les idées-clés pour essayer de mieux comprendre cet auteur. Malraux volubile et expansif se montre très réservé, et ce n ‘est pas la seule contradiction du personnage, dès qu’il s’agit de révéler ses propres sentiments. Aussi l’intérêt extraordinaire que cet écrivain a manifesté pour l’Asie m’a paru fournir une piste fructueuse pour percer la carapace de cet énigmatique génie car la spiritualité bouddhiste et hindouiste fait une part essentielle à l’intériorité. Derrière le Malraux officiel qui se flatte de sa familiarité affichée avec un Mao ou un Nehru, familiarité par ailleurs un peu surfaite, se cache un formidable et authentique attrait pour les Grands Sages et les textes sacrés orientaux.

Or cet attrait, qui ne peut prendre racine que dans la plus grande intimité, ne va sans que « le fond de votre cœur en vos discours se montre » comme l’écrivit  Molière. Dans ce registre, Malraux ne peut s’esquiver derrière la statue du grand homme encensé, il va devoir s’exposer à notre recherche.

Très rapidement il m’est apparu que vouloir comprendre la pensée de ce grand auteur sur la Chine se transformait progressivement en comprendre Malraux, grâce et à travers la culture orientale. Tenter de cerner Malraux dans sa totalité, chercher le ressort intime qui mettrait en marche l’homme aux multiples visages constitue probablement un défi impossible. La figure qui surplombe les biographies de Malraux est en effet celle de l’énigme.

François Mauriac, dans son Bloc-Notes, ne dit-il pas que Malraux demeure un inconnu ? Et André Brincourt intitule un de ses livres : Malraux le malentendu (2).

Pourtant, on aurait pu croire que tout avait déjà été dit sur Malraux. Mais comment concilier, comment mettre sous un même chapitre l’homme épris d’aventures, le baroudeur du maquis, l’esthète passionné d’art, l’aviateur, l’humaniste, le colonel et l’archéologue, le cinéaste, le tribun, le jeune marginal et le Ministre d’État ? Cet homme extraordinaire a mené une existence tellement riche et diversifiée que les qualificatifs se chevauchent et se contredisent. Ce «touche-à-tout » génial reste surtout connu comme écrivain et pourtant, il dira lui-même qu’il n’a écrit que de façon occasionnelle, pour défendre telle ou telle cause, quand bien même cette cause serait La Condition Humaine ou le Destin de l’homme.


La Métaphysique.

Ce qui saute aux yeux, à la lecture de Malraux, c’est son intérêt pour la métaphysique. Ainsi il écrit dans ses Antimémoires : « Ce que je tiens pour le plus important, c’est : quel sens a le monde ? » (3).  Il se pose les questions qui intriguent les enfants autant que les grands philosophes :

« Qui suis-je ? Que fais-je ? Quel est le sens de ma vie ? Y a-t-il un sens dans la vie ? » C’est celles de Tolstoï: « Qu’est-ce qui fait vivre les hommes? », c’est celles de Voltaire dans Zadig : «Qui suis-je, où suis-je, où vais-je, d’où suis-je tiré ? » Ces questions de toujours sont soulevées encore bien entendu par les philosophes contemporains: Edgar Morin, André Comte-Sponville, Luc Ferry, François Cheng …

 

(La suite de l’article paraîtra dans la revue Présence d’André Malraux N° 13)

Notes :
1. André Malraux, Lazare, Paris: Gallimard, 2004, p. 17.
2. André Brincourt, Malraux le malentendu, Paris : Grasset, 1986
3. André Malraux, Antimémoires, Paris : Gallimard, 1967, p. 377