Malraux et l’Afrique, ouvrage collectif aux éditions "Présence africaine"

Sans être donc aussi initiale que le fut l’Asie dans le parcours, l’oeuvre romanesque et la pensée sur l’art de Malraux, l’Afrique ne représente pas moins une dimension primordiale de son action et de son discours, en raison précisément du contexte de la décolonisation où ils prennent place et qui leur donne sens. À travers cette publication, la nouvelle université de Ziguinchor, en Casamance, renoue avec l’une des ambitions des fondateurs de la revue Présence Africaine qui était d’approcher l’Afrique, quelles que soient les circonstances et quel que soit le sujet, par une pensée rationnelle, loin de toute morgue et de toute revanche.

En 1966, le poète président, Léopold Sédar Senghor, aidé par Alioune Diop, le fondateur des éditions Présence africaine, organise le premier Festival mondial des arts nègres, à Dakar, au Sénégal. André Malraux est l’invité vedette. Il prononce ce discours mémorable: «Nous voici donc dans l’Histoire. Pour la première fois, un chef d’État prend dans ses mains périssables le destin spirituel d’un continent. Jamais il n’était arrivé, ni en Europe, ni en Asie, ni en Amérique, qu’un chef d’État dise de l’avenir de l’esprit: nous allons, ensemble, tenter de le fixer.»

Événement dans l’événement, le geste de Malraux est un acte de résistance dans un contexte de guerre froide, précisément, une pique à l’égard des régimes guinéen et algérien, qui ont choisi le modèle soviétique, en ce qui concerne l’organisation étatique de la culture. D’où la réplique immédiate de l’Algérie, qui oppose à Senghor et Malraux une grande messe culturelle en 1969: le Festival panafricain d’Alger.

Or, cette empreinte de Malraux sur la vie artistique africaine a été jusqu’à présent confidentielle. Non seulement, Mal­raux a prononcé à Dakar l’un de ses discours le plus émouvant, mais il a également accompagné la décolonisation en Afrique équatoriale, notamment au Tchad et au Congo-Brazzaville. «La présence africaine» de Malraux est surtout manifeste dans Le Miroir des limbes, où il revient longuement sur ses échanges sur l’art africain avec Léopold Sédar Senghor. C’est donc pour célébrer cette rencontre que la jeune université sénégalaise de Zinguinchor a organisé, les 15, 16 et 17 décembre 2011, le colloque «André Malraux et l’Afrique», dont les actes viennent juste de paraître aux éditions Présence africaine.

Réunissant une dizaine de chercheurs venus du Sénégal, de la France et du Brésil, «André Malraux et l’Afrique» s’ouvre par une communication d’Henri Godard, éditeur des œuvres complètes de l’écrivain dans la Pléiade. D’emblée, il donne le ton de l’ouvrage, en nous rappelant le grand mérite de Malraux: celui de nous avoir appris, bien avant Jacques Kerchache, combien les œuvres d’art naissent libres et égales. Mais l’article central du livre est celui du philosophe Jean-Pierre Zarader consacré à la place de la sculpture africaine dans les Écrits sur l’art.

En mettant en exergue la notion de métamorphose proposée par l’écrivain français en lieu et place du primitivisme, notion que l’on applique habituellement à l’art africain, Jean-Pierre Zarader situe André Malraux du côté du mouvement, tout en nuançant son enthousiasme. Car «nous sommes bien en présence d’un processus d’appropriation par l’Occident, de tout ce qui n’est pas lui, de tout ce qui se distingue de lui, voire de ce qui s’oppose à lui ou du moins le met en question. Une appropriation qui entend bien respecter l’autre dans sa diversité – et on pourrait ici penser à Segalen et à son esthétique du divers – mais pour mieux assurer sa puissance d’annexion.»

D’autres communications insistent sur les multiples facettes de Malraux, notamment l’article de Marc-Vincent Howelett, qui revient sur l’opposition entre Malraux et Carl Einstein, l’auteur de Negerplastik, ou celui de Catherine de Coquio, qui décrit le «versant lumineux» de la décolonisation auprès du général de Gaulle, comparativement à l’ange noir: Jacques Foccart.

Au total, un Malraux complexe, qui vient prendre place à côté de Michel Leiris, Théodore Monod et Georges Balandier. C’est-à-dire de tous ces intellectuels et artistes qui ont marqué à jamais l’histoire culturelle africaine et qui, en retour, ont été, parfois à leur insu, transformé par le contact avec le continent noir.

Malraux et l’Afrique, Raphaël Lamba (dir.), Présence africaine, 2013, 18 €.