Bernard Bourotte et André Malraux par François Doré

Bernard Bourotte et André Malraux. L’amitié qui liera les deux hommes de lettres est bien attestée par une importante correspondance, mais en découvrir l’origine est plus difficile. Peut-être peut-on raisonnablement imaginer que c’est lors des premiers mois de l’année 1924 que le jeune Malraux, assigné à résidence à Phnom Penh en attendant son procès, va rencontrer le professeur d‘histoire du Lycée de la ville, Bernard Bourotte. André a vingt-deux ans et Bernard, cinq ans de plus. Malraux s’ennuie et entre ses visites à la Bibliothèque Nationale, il fréquente la petite communauté française, “auprès de laquelle”, écrit Walter Langlois, “sa vive intelligence ainsi que son franc parler, avaient fait de lui une des figures les plus connues de la capitale cambodgienne”. L’essai de Bourotte, Capture, tentative de l’auteur de “former passerelle entre les Jaunes et les Blancs” n’est pas sans faire penser à La Tentation de l’Occident, paru en 1926, la même année. Mais pour Bourotte, il faudrait peut-être plutôt parler de “Tentation de l’Orient”. Et mieux, si certains ont écrit que c’est Malraux qui avait fait publier le roman Cavernes de Bourotte par la NRF en 1931, Méry va rendre compte de son admiration pour l’œuvre du jeune André Malraux, en présentant les vains efforts de son héros, le journaliste Georges Ploban “d’essayer d’être lu par les gens des deux races, de les toucher, de les façonner peut-être…”. Suit cet intéressant passage où Méry dresse un tableau sans concession de la société européenne de Hué et de ses goûts littéraires : “Alors Georges avait publié par fragments dans son journal, Tentation de l’Occident. Quand il parut au Cercle, ce furent des huées. On n‘avait rien compris aux subtilités de ce Chinois et de cet Européen, discutant de leur énergie, de leur sensibilité, de leurs buts de vie. On trouvait la langue obscure. Au vrai, les Coloniaux n’ont pas accoutume de réfléchir sur un texte dense ; il leur faut des phrases savonneuses au bout de quoi rien n’est changé. Beaucoup furent choqués par le nom de l’auteur…”. Auteur dont Méry tait pudiquement le nom. Malgré leur éloignement géographique, leur amitié durera et André Malraux n’oubliera pas son ami Bourotte en donnant son nom de plume “Méry” à un personnage attachant de ses Antimémoires.

François Doré. Librairie du Siam et des Colonies. Bangkok .