Hommages reçus à l’occasion du décès de Florence Malraux

DISPARITION DE FLORENCE MALRAUX

Florence Malraux vient de nous quitter après une longue maladie et toute la communauté malrucienne est attristée. Florence, pour celles et ceux qui avaient le privilège de la connaître, amie fidèle très proche de Françoise Sagan, de Bernard Frank, de Françoise Giroud, de Jeanne Moreau, de Jorge Semprun et de tant d’autres, était pour tous très attachante. Chacun aimait sa discrétion qu’accompagnait une grande qualité d’écoute, chacun aimait son ouverture d’esprit, sa curiosité, sa présence, son soutien de projets comme lors de la création de notre revue « Présence d’André Malraux ».

Depuis 1997 et au temps du Studio 28 à Montmartre, Florence s’est manifestée maintes reprises au côté de notre association. A la Bibliothèque Sainte Geneviève en l’honneur de Clara, à l’Institut Cervantès en l’honneur de Paul Nothomb, à la mairie du XIe pour l’exposition Gide / Malraux, à Collioure en 2009 où elle était venue avec Jorge Semprun et Prune Santelli pour le festival « « Un livre à la mer », à La Ciotat en 2012 (avec Frédéric Mitterrand alors ministre de la Culture et de la Communication), où, invitée par le responsable du DRASSM en relation avec les AIAM , elle devint la marraine du nouveau navire de recherche archéologique « André Malraux ». Et en 2015, nous l’avions retrouvée avec plaisir à la Librairie « Le Phénix » pour la parution des ouvrages L’ami oublié de Malraux en Indochine de Yves Le Jariel et de Comment Malraux est devenu Malraux de Raoul-Marc Jennar

Aujourd’hui, nous nous souvenons aussi de ce qui l’a précédé. Florence la ville où l’art est partout, dans les musées et dans les rues, Florence qui fut la destination du premier voyage d’André et Clara, Florence prénom qui lui fut donné en souvenir des émotions ressenties par ces deux jeunes amateurs d’art et de découvertes. Florence Malraux nous a quittés, femme libre, rebelle parfois dans ses choix de fidélités et de ruptures. Florence qui a investi son énergie et sa générosité dans la création cinématographique tout en restant à l’écoute des toutes les autres formes d’expression artistiques, comme la littérature dont elle partageait la passion en des discussions interminables avec Françoise Sagan.

Avec la légèreté d’un funambule, elle sut, entourée d’artistes et de créateurs, traverser l’existence avec cette grande élégance que nous n’oublierons pas.
Pierre Coureux, président des Amitiés internationales André Malraux

Tout a été dit sur l’intelligence, la générosité, le tact de Florence Malraux. Je n’évoquerai donc ici qu’un aspect de sa personnalité, dont j’ai eu l’expérience directe et répétée :  la façon discrète, mais très efficace, dont elle a contribué, comme exécutrice testamentaire, au rayonnement de l’œuvre de son père. J’ai eu affaire à elle aussi bien pour les romans – auxquels j’avais consacré ma thèse d’Etat – que pour les écrits sur l’art et pour l’établissement du texte de L’Homme précaire et la littérature, dont je devais assurer la publication en Pléiade et en Folio. Je n’oublierai pas l’accueil amical qu’elle me réservait lors de nos rencontres à son domicile rue de l’Université, ou de nos conversations téléphoniques. Sur de nombreux points, ses avis et ses conseils m’ont été précieux. J’évoquerai aussi les Archives des dernières années de la vie de Malraux, que Sophie de Vilmorin avait confiées au Centre de recherche que j’avais fondé à Paris III-Sorbonne Nouvelle. Je la consultais sur la destination et l’usage de ces documents, qui relevaient aussi bien de l’activité littéraire que de la vie privée : le parti qu’elle prenait était toujours celui de l’ouverture. Elle avait la vive intelligence de son père, la sensibilité de Clara, à laquelle elle était profondément attachée, et une absence totale de vanité. C’était une personnalité comme il y en a peu – de celles qui vous marquent pour longtemps.

Christiane Moatti Florence Malraux était une amie, une très chère et proche amie. J’ai fait sa connaissance dans l’hiver qui a suivi mai 1968. Son père avait tenu à organiser pour nous trois un déjeuner chez Lasserre (sa cantine). J’ai été d’emblée sous le charme. Quiconque rencontrait Florence ne pouvait d’ailleurs avoir qu’une envie: devenir son amie. C’est ce qui s’est passé et ne s’est pas démenti jusqu’à l’ultime mauvaise nouvelle. Nouvelle attendue puisque la maladie de Florence était orpheline mais pas moins douloureuse pour autant. Car Florence, c’était la grâce, une élégance de tous les instants, de toutes les circonstances. Sa conversation était l’une des plus belles que j’ai connues. Avec une écoute, une intelligence, une sûreté de jugement, une générosité qui rendent encore plus insupportable cette privation de la parole qu’elle a subie. Perdre sa voix, perdre la possibilité de s’exprimer, pour cette femme qui, quand on passait deux heures avec elle, vous réconciliait avec l’humanité, était proprement irrecevable. Ses mains ont ensuite été atteintes, ses doigts la faisaient tellement souffrir qu’elle ne pouvait recourir à la communication un temps mise en œuvre: écrire sur une feuille de papier, dans un jeu de questions orales et réponses manuscrites, que j’ai pratiqué avec elle et qui marchait très bien, puis rédiger des mails. Le dernier que j’ai reçu m’a procuré un immense plaisir et, en même temps, de la peine, car je connaissais les souffrances endurées.

Aujourd’hui, ma tristesse est tout aussi immense. Adieu Florence, adieu être rare, être unique, dont les amis mesurent à quel point il est irremplaçable.
Janine Mossuz-Lavau

 

Florence Malraux, une personne rare….

Vous avez raison, mon cher Pierre, Florence Malraux était une femme remarquable : elle a soutenu votre projet dès son origine, vous a apporté son aide quand il le fallait et vous soulignez à juste titre sa discrétion et son écoute. Voici quelques réflexions qu’une amitié de près de 50 ans avec Alain et Florence Malraux me permet de vous livrer : Naître «fille de» ou «fils de» n’est pas facile : Florence avait coutume de dire que «trop de célébrité détruit les familles» et elle eut la sagesse de ne jamais attirer sur elle des feux de la rampe inutiles et souvent pernicieux : sa pudeur et sa discrétion légendaires lui étaient une protection autant qu’une règle de vie assumée. De ses deux parents, elle avait gardé le meilleur : de sa mère, Clara (la Clara de l’entre-deux guerres), le regard pénétrant, le courage de ses choix, une détermination intangible quand elle s’engageait, quel qu’en fût le prix à payer. De son père, André, un père exceptionnel à tous égards inutile de le dire, elle avait l’intelligence supérieure, une curiosité d’esprit jamais rassasiée, un goût sans faille pour la littérature et les arts, qu’elle appréhendait avec une réceptivité particulière. Sans compter l’élégance et le charme communs à tous les Malraux… A quoi s’ajoutaient ses qualités propres : l’équilibre et le sérieux. Née de deux «monstres sacrés», elle vécut une enfance difficile – à cause de la guerre et de la séparation de ses parents – et elle en tira, a contrario, des leçons de douceur, d’urbanité et d’un calme qui savait rester ferme. Elle le prouva dès son adolescence, tiraillée entre une mère qui n’avait jamais refermé la blessure de son divorce et une famille Malraux dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’était pas ordinaire. Il faut relire les très belles pages de l’autobiographie d’Alain Malraux, Les Marronniers de Boulogne pour mesurer la qualité de sa présence, bienfaisante, quand elle apparaissait au sein du foyer paternel. Elle avait dû conquérir son père – qui n’avait pas spécialement la fibre paternelle – et je me rappelle cette anecdote révélatrice : elle me racontait sa vraie première rencontre avec lui, à la Libération : il l’avait invitée à déjeuner dans un bon restaurant parisien. Elle n’avait pas treize ans et se sentait un peu intimidée par cet homme lointain, prestigieux (le colonel Berger, encore), elle avait soigné sa tenue (un ruban neuf dans les cheveux…) et se demandait comment les choses allaient se passer. Premiers mots de Malraux à cette enfant qu’il connaissait mal et à qui il tend la main sans l’embrasser, rien sur sa vie, sur sa mère, sur l’école mais : «Que lis-tu?» !!! Ça tombait on ne peut mieux. Elle venait d’attaquer Dostoïevski (je ne sais plus si Les frères Karamazov ou Crime et châtiment).La glace était rompue, le dialogue pouvait commencer, Malraux avait une fille digne de lui ! Elle concluait joliment en disant, qu’en plus, elle avait pris deux desserts ! Un fait rare à l’époque…Ce dut être en effet un déjeuner aussi marquant pour l’un que pour l’autre.

Florence a su construire sa vie de façon autonome, je ne vais pas en évoquer ici les détails mais elle s’est formée très jeune chez Gallimard puis à l’Express (celui de Françoise Giroud et J-J Servan-Schreiber), elle a connu tout ce qui se faisait de plus intéressant dans le Paris littéraire et journalistique des «Trente Glorieuses», elle a épousé Alain Resnais, le grand cinéaste, et a travaillé auprès de lui pendant, là encore, de longues et riches années, toujours entourée de talents confirmés ou naissants…Elle n’avait pas eu peur de s’opposer à son père – alors ministre du Général de Gaulle – au moment de la guerre d’Algérie mais la cassure avait fini par se ressouder. Puis il y eut le drame familial – la mort de Gauthier et de Vincent – puis, puis…

Malraux l’estimait infiniment : il avait confiance en son jugement, en sa droiture et c’est donc elle qui, après lui, eut la charge de gérer sa mémoire et son œuvre. Ce dont elle s’occupa avec une disponibilité exemplaire. Vous en êtes le témoin. Exemplaire, elle le fut pour moi dès l’abord. J’avais 25 ans, entrée au journal Le Monde, celui d’Hubert Beuve-Méry, quand mon illustre confrère Jean Lacouture m’avait fait rencontrer mon contemporain, Alain Malraux. Lacouture travaillait à sa grande biographie de Malraux et il avait imaginé cette rencontre. Grâces lui soient rendues ! Nous étions en 1969. Alain et moi sommes devenus proches, fraternels, et le sommes restés : c’est à travers lui que j’ai connu Florence et elle a d’emblée figuré la grande sœur que j’aurais voulu avoir.

Notre amitié s’est renforcée de ce que en 1975, mon couple avec Francesc Vicens – pointure de la vie politique et culturelle catalanes – s’est fait. Francesc avait bien connu Florence et Resnais pendant son exil hors de l’Espagne franquiste, ainsi que leurs proches amis Yves Montand et Jorge Semprun, Semprun, son vieux comparse de la lutte clandestine. Resnais l’avait aidé en le faisant son consultant sur La Guerre est finie, un film dont Montand était le héros, Semprun le scénariste, Florence l’assistante. La boucle se bouclait : c’est chez moi, rue Séguier, que Francesc et Semprun se sont retrouvés après tant d’années. Puis, en 1977, Francesc, premier directeur de la Fondation Miro à Barcelone (qu’il avait créée aux côtés de Miro) y accueillait Joseph Losey et son équipe. Losey tournait alors Les Routes du Sud et le «clan» s’est reconstitué : Semprun, scénariste, Montand, principal protagoniste, Trauner, décorateur, Florence, assistante de Losey. Nous avons vécu des moments chaleureux et mémorables. Notamment quand Losey a demandé à Francesc de jouer (deux séquences) dans son film : il en a été plus qu’enchanté ! Et nous ne nous sommes plus quittés. La dernière fois que Francesc et Semprun se sont revus, ce fut sous le chaud soleil de Collioure, à l’été 2009, lors d’une manifestation particulièrement agréable, «Un livre à la mer». Florence et moi étions présentes, ravies, cela va sans dire. Et le dialogue continua…Jusqu’à ce que la mort nous sépare : Francesc en Juin dernier, Florence aujourd’hui, tous deux atteints d’une de ces longues maladies dégénératives qui sont un enfer pour tous.

Florence s’est révélée une amie exceptionnelle de tact et de générosité. De loyauté, aussi : elle était fidèle, attentive, agissante s’il le fallait. Et très tonique car son esprit critique se doublait d’un humour enjoué. Chez elle, la rigueur n’altérait jamais la fantaisie ni la féminité. Florence était une personne rare : elle faisait l’unanimité partout où elle passait. «Un miracle de la nature», comme il est dit du duc de Nemours dans La Princesse de Clèves, une référence qui, j’en suis sûre, l’aurait fait sourire. D’un de ces sourires très réservés dont elle avait le secret…Françoise Wagener Vicens, Fontanilles, le 3. XI. 2018

 

A la nouvelle de la disparition de Florence, on ne peut s’empêcher de ressentir une grande tristesse. Délicate et généreuse, elle avait une grande ouverture d’esprit et une large capacité d’écoute. A mon regret, Je ne l’ai pas connue personnellement, probablement par pudeur ou par souci de décence. En revanche, l’opportunité m’a été offerte de rencontrer Madeleine qui m’avait bien accueillie. Je lui avais d’ailleurs remis mon livre sur Malraux, qu’elle accepta avec beaucoup de grâce.

Malgré tout, Florence, fille d’André Malraux, allait faire partie de mes centres d’intérêt, durant de nombreuses années, tout comme les femmes qui ont fait partie de son entourage, vu leur importance, à mes yeux. Je vous renvoie, à cet égard, à « Femmes et jeux de pouvoir, Josette Clotis, Louise de Vilmorin, BertheLamy , aimer, érotisme… », notices dans le Dictionnaire Malraux dirigé par Charles-Louis Foulon, Janine Mossuz Lavau et Michaël de Saint-Chéron. Excepté sa visite une fois par semaine à son père, l’unique fille de Malraux devra vivre avec sa mère Clara qui fustige, en toute occasion, l’écrivain. Elle justifie ainsi son rejet des enfants: « Il ne voulait pas, disait-il, donner de gage à la société». C’est Josette Clotis, la compagne de Malraux, au printemps 1940, qui brossera le portrait de la fillette: “ (…) Une des plus charmantes expressions d’enfant que j’ai vue, observe Josette. Elle aurait voulu qu’il la regarde et lui sourie, mais il ne le faisait pas. Alors, elle attendait d’un air patient, en grattant la terre avec son pied.(Suzanne, p.18-159). « Elle a l’air d’avoir une grande vénération pour lui, de considérer comme un événement qu’il soit là. » (Ibidem) Ce qui frappe, c’est l’expression adulte de l’enfant qui la rendait encore plus vulnérable. Portrait complété par Alain : « Qui, des habitants de Boulogne ne sentait d’instinct que derrière ce voile de douceur, existait un arrière-plan de choses tristes et de vieilles douleurs qu’il fallait taire, surtout ne pas évoquer ? » (Alain, p.43) L’arrivée hebdomadaire de cette sœur aînée était vécue comme un événement par les autres enfants, d’autant plus qu’elle était admise à la table des grands. Derrière la frêle adolescente se profile Clara et son contentieux de rancœurs nourri à l’égard de l’époux et du père indigne. Après le déjeuner, Madeleine s’éclipsait laissant père et fille ensemble. Entre le grand homme préoccupé par de vastes projets et l’adolescente qui se tient bravement pour ne pas démériter, se noue, non sans mal, une relation faite d’un mélange de rigueur, de pudeur et d’érudition. J.F. Lyotard observe: « André aima l’enfant, la jeune femme, et dans sa fille donnée, un esprit fier et cultivé, libre de tout ressentiment » (Lyotard p.308). Leurs rapports finirent par se détériorer. Le dialogue si difficilement instauré sera rompu, car Florence avait signé le Manifeste des 121 qui dénonçait la torture en Algérie. Elle sera alors écartée de la vie de son père pendant plusieurs années. Ils se retrouveront dans des circonstances dramatiques, à la mort de ses frères, Gauthier et Vincent. Malraux ne renouera vraiment avec sa fille qu’après la parution des Antimémoires. Il confie à Alain son désir de revoir Florence : « Oui, je la reverrai : je ne trouve pas juste qu’elle doive supporter seule le fardeau de sa mère ». (Alain, p.296) La lettre qu’il lui écrivit à l’occasion de son dixième anniversaire, en 1943, trahit un de ses rares élans de tendresse paternelle et mérite à cet égard d’être citée :

Le 6 avril

Mon petit chat,

Je t’aurais écrit plus tôt si je n’en avais pas été empêché, mais ce sera aujourd’hui le 28 mars pour moi. Je te souhaite toutes les choses magnifiques que tu voudrais qu’on te souhaite, et que je ne connais pas, mais que toi tu connais. Je voudrais t’envoyer un cadeau, mais je viens de revenir d’un petit village où il n’y a rien : alors je t’envoie un mandat ; ce n’est pas si joli qu’une surprise, mais tu le transformeras toi-même en surprise, comme les magiciennes.

Tu es bien gentille et je t’embrasse.

Ton papa

Ce qui est triste, c’est que Florence n’aura connaissance de cette lettre que sept ans après la mort de sa mère, c’est-à-dire, quarante-six ans plus tard (Alain, p.343-344).  Louise de Vilmorin sera emballée par la jeune femme et nous en donnera une autre image, sans doute parce que perçue à travers un prisme différent : « André a une fille épatante, annonce-t-elle à sa nièce. Elle lui ressemble énormément. (…) Elle a vraiment de la personnalité, mais elle est gaie et douce en même temps, je l’ai beaucoup aimée ».(Sophie, p.24). Le portrait bienveillant qu’en fait Sophie complète celui de sa tante et nous rapproche davantage de la fille de Malraux : « Florence est une femme soignée dans sa mise (ce qui n’était guère le cas de sa mère) et précise dans ses propos; pourtant sans aucune raideur. Elle est au contraire ouverte à tous les désordres comme aux idées les plus extravagantes, et s’en amuse. Intelligente et généreuse, elle a tout lu et tout compris (…) Elle s’impose. Mais la fermeté de son caractère se dissimule sous une pudeur exigeante et souriante qui oblige ses interlocuteurs à découvrir le tragique qui, au fond, l’habite. Elle refuse le plus souvent de paraître sur le devant de la scène et pratique une orgueilleuse discrétion. » (Ibidem, p.116) L’intérêt de ce double portrait, c’est que la petite fille sage et fragile semble s’être épanouie en une jeune femme discrète, mais ouverte et dotée d’une forte personnalité.

Appréciant de plus en plus le jugement littéraire de sa fille, Malraux finit par lui demander de faire la critique de L’homme précaire, tâche autrefois dévolue à sa mère. Le rapprochement entre le père et la fille est largement consolidé quand Malraux tombe malade. Déjà, lors de la première alerte, une syncope dont l’écrivain s’était sorti sans trop de mal, Florence était invitée à Verrières, quelques jours après le retour d’hôpital : « Florence était manifestement heureuse, raconte Sophie de Vilmorin, et même émue, de voir son père en bonne santé et débarrassé de ses tics. Elle m’a dit l’avoir ressenti pacifié, enfin délivré de toute mondanité. ” (Ibid., p139)

A la fin de son livre, c’est une Sophie éternellement reconnaissante à Florence que nous découvrons : « C’est à Florence que je dois d’avoir déjeuné à l’Elysée, ce jour-là, de m’être trouvée dans la tribune présidentielle réservée à la famille d’André Malraux, d’être entrée avec elle dans le Panthéon, derrière le cercueil de l’homme de mes rêves vécus, de l’homme dont je suis veuve, de celui que j’aime encore. » (Ibid., p.275) Et c’est encore Florence qui l’a incitée à témoigner : « Il est temps que tu écrives ton livre… », lui avait-elle dit, en janvier 1997, dans le restaurant préféré de Malraux, Lasserre.

Silhouette évanescente, Florence traversa la vie comme par inadvertance, évoluant furtivement, se glissant dans le sfumato. Elle a pu ainsi maintenir le halo de mystère qui entourait son père et se faire la digne dépositaire de sa mémoire. Si discrète et si attachante, Florence Malraux se démarquera de Clara et de ses emportements, faisant preuve de cette intelligence mesurée qui allait la rapprocher davantage de son père.
Anissa Benzakour Chami, Vice-Présidente des Amitiés internationales André Malraux, Rédactrice en chef de la Revue Présence d’André Malraux

Tout a été dit sur l’intelligence, la générosité, le tact de Florence Malraux. Je n’évoquerai donc ici qu’un aspect de sa personnalité, dont j’ai eu l’expérience directe et répétée : la façon discrète, mais très efficace, dont elle a contribué, comme exécutrice testamentaire, au rayonnement de l’œuvre de son père. J’ai eu affaire à elle aussi bien pour les romans – auxquels j’avais consacré ma thèse d’Etat – que pour les écrits sur l’art et pour l’établissement du texte de L’Homme précaire et la littérature, dont je devais assurer la publication en Pléiade et en Folio. Je n’oublierai pas l’accueil amical qu’elle me réservait lors de nos rencontres à son domicile rue de l’Université, ou de nos conversations téléphoniques. Sur de nombreux points, ses avis et ses conseils m’ont été précieux. J’évoquerai aussi les Archives des dernières années de la vie de Malraux, que Sophie de Vilmorin avait confiées au Centre de recherche que j’avais fondé à Paris III-Sorbonne Nouvelle. Je la consultais sur la destination et l’usage de ces documents, qui relevaient aussi bien de l’activité littéraire que de la vie privée : le parti qu’elle prenait était toujours celui de l’ouverture. Elle avait la vive intelligence de son père, la sensibilité de Clara, à laquelle elle était profondément attachée, et une absence totale de vanité. C’était une personnalité comme il y en a peu – de celles qui vous marquent pour longtemps.

Christiane Moatti

C’est avec une immense tristesse que j’ai appris le décès de Florence Malraux. Sans jamais avoir été de ses proches, j’éprouvais pour elle une grande affection. J’aimais son nom. Clara et Malraux le lui avaient donné en 1933 en souvenir de leur premier voyage en Italie et ils furent subjugués par la beauté de la peinture florentine.

J’aimais son visage où se reflétaient tour à tour le tempérament vif de Clara et l’intelligence délicate de Malraux.

J’ai fait sa connaissance assez tardivement en 1996 à l’occasion du colloque de la Sorbonne.

Elle m’avait encouragé à poursuivre mes travaux sur les Écrits esthétiques de son père, et elle m’avait dit que je pouvais compter sur elle si je voulais consulter les manuscrits de La Métamorphose des dieux ou sa correspondance.

Quelque temps après cette première,  je lui écrivais à  son adresse Rue du bac et ne tardais  pas de recevoir à Tunis le précieux sésame, signé  de sa main, qui me donnait le droit de consulter les Archives de Malraux à la BnF, à la Bibliothèque Sainte-Genièvre  et à Paris III.

A l’occasion de ma participation à l’édition de  La Métamorphose des dieux en Pléiade (2000-2004), elle était  en contact constant avec le Professeur Henri Godard et nous prodiguait ses encouragements.

Je lui sais gré de l’aide précieuse qu’elle nous a apportée.

D’une manière générale, je rends hommage à sa discrétion.  Elle avait refusé ce livre que chacun voulait qu’elle écrive. Elle a sauvegardé le mystère Malraux. Elle aura été ainsi la digne dépositaire de la mémoire  de son père.

Qu’elle repose en paix, entourée de notre reconnaissance et de notre affection.
Moncef Khemiri

Mourir le jour des morts.
C’est déjà bête de mourir. Plus encore à la Toussaint.
Malade depuis des années, la fille de Malraux est décédée.

Nous l’avions rencontrée lors du Festival “Un livre à la mer” mémorable, à Collioure, en août 2009 : J-Pierre Gayraud avait programmé un été malrucien et avait invité Jorge Semprun. Celui-ci était bien fatigué, avait du mal à marcher : je l’accompagnais du port à l’hôtel proche, l’ancienne poissonnerie, dans l’impasse, derrière le café Sola…

Florence n’était venue que parce que Jorge l’accompagnait. Ce dernier avait voulu revoir Collioure, passage machadien de la Retirada, et le château des Rois de Majorque où Camus avait écouté Maria Casarès…

Le couple amical était venu jusqu’au centre culturel voir l’expo consacrée à Malraux, sous l’égide des Amitiés et de P. Coureux, puis participèrent aux débats sur le port, dans ce petit théâtre à ciel ouvert, entre mer et muraille…

Surtout j’ai le souvenir d’une soirée merveilleuse : un repas en tête à tête à quatre, sur la terrasse d’ un petit restaurant de Collioure, avec F. Malraux, J. Semprun, J. Gayraud…A parler de tant de sujets que l’on a tout oublié…demeure un souvenir tendre et important…

La mort est donc passée par là, encore une fois…

Il ne reste que cet éphéméride et un petit polar que j’écrivis, cet été-là, après avoir passé la nuit dans une chambre austère de Consolation, là-haut, au-dessus de la foule, des bruits touristiques et de la mer matissienne…en pensant à une rencontre mémorable…
Jean-Pierre Bonnel (texte dans leblogabonnel)

… Je suis au Cambodge. J’aurais aimé assister aux funérailles.
Je n’oublierai jamais la gentillesse avec laquelle elle m’avait accueilli et apporté son soutien pour mon livre…
Raoul-Marc Jennar

Florence Malraux m’a toujours encouragé et aidé dans mes recherches facilitant, entre autres, l’accès aux archives du Fonds André Malraux.
Je partage la tristesse de la communauté malrucienne…
Eugène Kouchkine

Merci à Alexandre Dewez (ancien président des Amitiés Internationales André Malraux, et notre correspondant à Pau) qui, ému, a transmis documents et photos datant de 2001 (centenaire de la naissance d’André Malraux), où Florence Malraux était venue assister au vernissage de son exposition à Guéthary alors que l’association des élus du littoral l’accueillait également pour les conférences ou « évènements » malruciens à Saint Jean-de-Luz, Hendaye, Bidart et bien sûr Guéthary.

Merci à Jean-Claude Noël de rappeler le télégramme de Malraux à Louis Guilloux pour la naissance de Florence. (Louis Guilloux: Carnets 1921-1944, Gallimard, 1978) – Mars 1933 – Télégramme de Malraux pour m’annoncer la naissance d’un petite fille : « Petite fille. Bravo dit Clappique. Amitiés. Tout va bien. »