Atelier de l’histoire 2015 – Histoire de l’enseignement de l’architecture, par Arlette Auduc

  Le 13 octobre 2015, à l’occasion des journées de l’étudiant organisées par les Archives nationales, le Comité d’histoire présentait le projet de recherche sur l’histoire de l’enseignement de l’architecture.

Le site : https://chmcc.hypotheses.org/pour-une-histoire-de-lenseignement-de-larchitecture

Carnet de recherches du Comité d’histoire du Ministère de la culture et de la communication sur les politiques, les institutions et les pratiques culturelles.

par Arlette Auduc, conservateur en chef du patrimoine (H), correspondante patrimoine au Comité d’histoire

Le Comité d’histoire a décidé de suivre et de coordonner un projet de recherche mené par un groupe d’enseignants-chercheurs en écoles d’architecture, autour d’Anne-Marie Châtelet (ENSA de Strasbourg), de Marie-Jeanne Dumont (ENSA de Paris-Belleville) et de Daniel Le Couédic (ENSA de Bretagne).

Il est en effet paradoxal de constater, en France, un intérêt nouveau des chercheurs pour l’histoire de l’enseignement supérieur en général et le peu d’ouvrages consacrés à l’enseignement de l’architecture, contrairement à la situation existant dans de nouveaux pays étrangers. Le paradoxe est d’autant plus évident quand on connaît l’influence qu’a exercé l’enseignement de l’École nationale des Beaux-arts ou même celui de l’École polytechnique, ce qui explique peut-être que les premiers travaux ont été réalisés par des universitaires anglo-saxons.

Cette situation est due, sans doute, à la structuration de l’enseignement de l’architecture en France, dispensé par des écoles spécifiques et non par l’université. Au-delà de l’École nationale des Beaux-arts qui a fait l’objet de nombreuses études, surtout centrées sur les périodes les plus anciennes, les autres écoles et les cours qui y étaient donnés sont mal connus. Jusqu’en 1940, on étudiait l’architecture à l’école spéciale d’architecture, à l’école des arts décoratifs, dans les écoles d’ingénieurs et bien sûr dans les écoles régionales d’architecture qui se créent progressivement depuis 1903 et dont l’histoire reste à faire.

Ce retard s’explique par de multiples raisons dont la plus importante est la question des sources, notamment des archives. Une enquête rapide en montre la grande dispersion. Elles sont donc mal connues et cette localisation est très incomplète.

Seule, l’ENSBA a versé ses papiers aux Archives nationales pour la période qui s’étend de 1793 à 1970. Il s’agit essentiellement de documents administratifs (règlements, listes d’élèves, sujets de concours, etc.) On y trouve peu de documents pédagogiques (notes, cours d’enseignants, travaux d’élèves) pourtant essentiels pour comprendre les méthodes et le contenu des enseignements.

La situation est identique dans les archives départementales, du moins celles qui ont reçu les versements des écoles régionales, ce qui est très loin d’être le cas général : beaucoup d’écoles (y compris à Paris) ont gardé leurs archives sans posséder de services dédiés et de personnel pour en assurer le tri, l’inventaire et la conservation. Une étude au cas par cas est à faire. D’autres instituions ont reçu des documents : les archives d’architecture du XXè siècle ou les archives du monde du travail à Roubaix regroupent des fonds d’architectes mais qu’il faut étudier dans le détail pour connaître ce qui relève de l’enseignement. Il faut y ajouter de nombreux legs d’architectes à des Archives municipales, des musées, des bibliothèques. Et savoir cependant que beaucoup restent encore dans des fonds privés ou, plus grave, a été perdu ou détruit au gré de déménagements, de décès, ou de « simple » négligence.

De plus, lorsque ces archives existent et sont connues, l’étude du XIXe siècle a été privilégiée. Il était évidemment tentant de s’attarder sur ce siècle fondateur durant lequel l’enseignement de l’architecture en France a constitué un modèle pour de nombreux pays d’Europe et peut-être surtout d’Amérique. À l’autre extrémité de la chronologie, la période postérieure à Mai 68, avec l’effondrement de l’enseignement de l’école des Beaux-arts et la création des Unités pédagogiques a vu récemment se multiplier les études. En revanche, les soixante premières années du XXe siècle, notamment celles de l’entre-deux-guerres pâtissent d’une véritable indifférence et sont très mal connues. Il en est de même de l’enseignement donné dans les écoles régionales, qui se mettent en place à partir de 1903, sur le modèle de celui dispensé à l’École des Beaux-arts. Dans ce domaine l’essentiel reste à faire même si des premiers travaux ont été lancés. C’est d’ailleurs à l’issue d’une journée d’étude consacrée à l’École de Strasbourg qu’est né ce projet d’étude.

Le projet de recherche :

Il s’agit d’un projet global, exigeant, d’importante ampleur chronologique.

  • Il porte sur l’ensemble du XXe siècle dont on vient de dire à quel point il a été négligé jusqu’ici. Ses limites chronologiques s’étendent de la création des écoles provinciales d’architecture par un décret du 23 janvier 1903 au début des années 2000. Dans ce siècle de bouleversements profonds et nombreux, seront abordées non seulement les dimensions doctrinales, mais aussi professionnelles, territoriales et politiques de cet enseignement

  • L’ensemble des établissements seront étudiés : les établissements parisiens et d’abord l’ENSBA puis les Unités pédagogiques mais aussi les écoles régionales qui ont d’abord fonctionné dans une étroite dépendance de l’école des Beaux-arts. Indépendantes après leur « refondation » en 1968, on ne connaît presque rien de leur histoire alors qu’elles forment environ dix fois plus d’étudiants qu’auparavant. Ces études nous permettront de mieux connaître les termes de l’affrontement Paris-province au long du siècle et de compléter, entre autres, notre connaissance de la question du régionalisme. On peut espérer croiser ces études avec une histoire de la profession, qui reste aussi à faire et qui est aussi essentielle pour le XXe siècle.

  • La recherche devra être une recherche globale, c’est en dire l’exigence. Il faudra aborder les questions de pédagogie, comme aussi l’architecture des lieux et l’histoire des structures. Pour tout cela nous devrons nous appuyer sur les cours dans leur diversité, comme sur les concours qui les couronnent et dont il nous faut retrouver les traces dessinées, documentées, les maquettes, les outils dans leur matérialité comme les fondements conceptuels et théoriques.

La question des archives est donc essentielle.

L’objectif premier, d’importance, est de lancer une vaste enquête d’inventaire des sources. Ce travail dont est chargé le Comité d’histoire aidé par la Mission Archives du ministère et soutenu par la Direction de l’architecture suppose la collaboration de toutes les institutions susceptibles de disposer de documents, à qui est adressé un questionnaire qui sera complété par des entretiens directs. Il devrait aboutir à la constitution d’un guide des sources qui sera publié en ligne et qui pourra ainsi s’enrichir des connaissances nouvelles que la sensibilisation à ces questions ne manquera pas de faire surgir.

Nous pensons en effet qu’il y aura là l’occasion d’alerter les écoles et les établissements à la question du versement de leurs papiers aux institutions archivistiques spécialisées, de même qu’il nous faudra susciter le versement des archives privées des anciens élèves et enseignants.

Cette quête devra s’accompagner de celle de témoignages. Il est urgent de recueillir la parole des acteurs de ce long XXe siècle et notamment ceux de la période des années 60 et 70 qui a vu une refonte totale de l’enseignement de l’architecture. Dans cette constitution d’archives orales, le Comité d’histoire qui a une longue expérience et a constitué un corpus déjà important sera un acteur essentiel.

À moyen terme, il faudra confronter méthodes et résultats dans constitution de ces archives aux travaux de nos confrères étrangers dont, on sait l’avance dans ce domaine.

La constitution d’un réseau scientifique est le second objectif.

Si le but final est bien de travailler à une histoire de l’enseignement de l’architecture en France au XXe siècle, articulée à celle de la professionnalisation du métier d’architecte, en visant au développement et au renouvellement de l’historiographie sur ce sujet et en intégrant une dimension documentaire et une perspective comparatiste, cela ne sera possible que par la vitalité d’un réseau fourni de chercheurs. Il aura pour noyau les participants de la journée d’études qui accompagna l’exposition Des Beaux-Arts à l’Université. Enseigner l’architecture à Strasbourg. L’École en dessins, et la sortie du livre qui en est issu. Ce groupe devra bien sûr s’élargir à l’ensemble des écoles parisiennes et en région comme aux universitaires et aux chercheurs intéressés.

Pour les mobiliser, des journées d’études thématiques se tiendront deux fois par an dans les diverses écoles. Elles seront l’occasion de lancer ou de développer les recherches sur l’histoire de ces écoles et sur des problématiques propres de façon à faire émerger la richesse mais aussi pourquoi pas les difficultés spécifiques à cet enseignement dans ses visées théoriques, professionnelles, sociales et économiques.

Les actes de ces journées d’études seront publiés dans notre carnet de recherches. La première journée, de lancement du projet, aura lieu le 19 février 2016 à la Cité de l’architecture et du patrimoine. Elle sera en partie centrée sur la question des sources et fera la part belle aux intervenants étrangers.

Le projet de recherche dont l’envergure explique qu’il s’étende jusqu’en 2020 se clôturera par un grand colloque international consacré à : « L’enseignement de l’histoire de l’architecture au XXe siècle ». Un ouvrage de synthèse pourra alors être publié.

Mais d’ici là, ce projet, pour aboutir, doit s’assurer de la collaboration des institutions qui détiennent des informations et pourraient participer à l’élaboration et la diffusion de ces travaux, au premier chef les Archives nationales qui détient des fonds déjà très riches quoique dispersés et qui peut mobiliser et aider des étudiants dans leurs recherches. Ainsi se justifie la participation du Comité d’histoire du ministère de la culture à la journée de l’étudiant du 12 octobre et la présentation que nous espérons mobilisatrice de ce projet ambitieux.

Pour en savoir plus sur le projet